Via ferrata

J'ai eu récemment l'occasion d'essayer ma toute première via ferrata (celle des Evettes) dans le cadre d'une activité de groupe, et j'ai voulu rédiger mes impressions tant que c'est frais. Tant qu'à le rédiger, autant le publier et le partager.

Je crois que cette démarche est une source majeure du blog de David Madore, je la pratique moins souvent que lui, mais j'aimerais le faire plus souvent. J'apprécie presque chaque fois que je retombe sur un de ces articles, et la possibilité que ce soit un cadeau pour moi-du-futur est ma principale motivation.

L'hésitation avant le départ

Je n'ai pas tellement envie de partager tous les détails de l'organisation de cette activité, ça fait partie des zones habituellement hors de ma ligne éditoriale.

Disons simplement que j'avais la possibilité de joindre à un groupe d'humains qui font une randonnée en montagne, tout à fait abordable pour mes standards, ou à un autre groupe d'humains qui font une via ferrata, et qu'aucun de mes critères habituels ne m'a permis de choisir un groupe plutôt que l'autre, il fallait donc départager en fonction de l'activité.

J'ai soigneusement évité de rentrer dans les détails de mes cours d'EPS quand j'ai parlé des activités physiques que j'ai pu pratiquer, mais un des rares souvenirs non-négatif qui me restent de ces cours sont un trimestre d'escalade en salle.

Sur la base de ces souvenirs, je dirais que si j'étais obligée de consacrer du temps à une activité physique autre que la marche et l'autodéfense, l'escalade serait mon troisième choix.

Donc la randonnée était le choix le plus évident, mais j'étais quand même intriguée par la via ferrata, et je n'ai pas pu éteindre une certaine envie d'essayer.

Malgré l'indication que c'est plutôt pour les « personnes sportives et non sujettes au vertige. »

J'avais plutôt confiance dans ma capacité à ne pas avoir le vertige, mes sensations qui ressemblent le plus à la définition de « vertige » sont en regardant en haut (et envoyant à quel point je suis proche d'un repère classifié comme « en hauteur »), alors qu'habituellement la perception du vide sous moi et la perspective d'une chute ne suscitent pas plus de réaction émotionnelle que n'importe quelle autre situation où mes perspectives de survie dépendent d'infrastructures dans lesquelles j'ai confiance (j'ai déjà bloggué sur l'importance de la confiance dans les infrastructures).

En revanche, même après toutes les activités physiques que j'ai décrites, tellement basiques que je n'arrive même pas à les qualifier de « sport », je n'arrive pas à me considérer comme « une personne sportive ».

En plus, mes souvenirs d'escalade étaient qu'il faut utiliser les jambes plus qu'intuitivement (parce que les muscles y sont vraiment plus forts et endurants), mais qu'il faut quand même de bonnes bases dans les bras. Dans les bons jours j'arrive à faire deux pompes, mais je m'écroule avant de finir la troisième ; et je n'arrive pas à faire une seule traction. Ce qui me laisse penser que mes bras ne sont pas du tout au point.

D'un autre côté, j'ai le souvenir de quelques sessions d'accrobranche, où je passais sans problème les parcours verts et bleus, et j'ai terminé du rouge en ayant l'impression de taquiner ma limite, sans savoir si c'était une limite de difficulté ou une limite d'endurance après avoir fait tant de vert et de bleu avant. Je n'ai pas le souvenir d'avoir déjà essayé du noir.

Contrairement à l'accrobranche, la via ferrata ne me donne pas l'impression de pouvoir caler en cours de route sans conséquences massives. En fait j'étais assez confiante dans mes capacités physiques pour commencer, et mon angoisse était surtout de coincer le groupe au milieu d'un endroit inconfortable, sans avoir la force de continuer, et même pas forcément capable d'attendre des secours très longtemps.

Après avoir consulté moult pages internet et moult personnes qui sont censées savoir ce genre de choses, je n'étais pas plus avancée, parce que personne n'a l'air de savoir ce dont je suis capable exactement (même pas moi).

Je me suis finalement laissée convaincre de rejoindre le groupe de via ferrata (sinon vous ne seriez pas en train de lire ce billet), avec l'assurance que le groupe ne m'en voudrait pas trop si je les plombe à cause de mes pathétiques capacités physiques.

L'approche

Une fois que ce choix était verrouillé, je ne me suis plus trop préoccupée de la situation, jusqu'au démarrage de l'activité.

Dès que le groupe s'est formé, les doutes sont revenus au grand galop, parce que j'avais l'impression que tout le monde était beaucoup plus expérimenté et plus sportif que moi. Je regrette de ne pas avoir essayé de vérifier cette impression, si ça se trouve c'était largement exagéré.

Le groupe a été coupé en deux cordées, composées chacune d'un guide, d'un débutant, et de trois participants plus expérimentés.

Ça commençait gentiment, avec du téléphérique puis de la marche en montagne. J'ai trouvé la marche un peu vive pour mon goût, mais c'était surtout par crainte de manquer d'énergie tard quand le demi-tour serait plus compliqué. C'était en tout cas suffisamment peu intense pour admirer les paysages et être impressionnée par la masse et la proximité des reliefs.

L'épreuve physique

C'était un peu un acte de foi quand je me suis lancée, mais le bilan a posteriori est que cette via ferra était tout à fait à la portée de mes capacités physiques.

J'étais bien fatiguée à la fin, et je ne sais pas trop quelle longueur supplémentaire j'aurais pu faire, mais j'étais suffisamment à l'aise pour ne même pas être ralentie par manque d'endurance.

En revanche sur le plan technique, j'étais très loin de ma zone de confort, et j'ai la nette impression d'avoir été un boulet pour le groupe pendant toute la traversée.

D'un autre côté, j'ai été agréablement surprise par la quantité de savoir-faire venus de l'escalade et de l'accrobranche qui me sont revenus en cours de route.

Et puis même si c'est sévèrement tempéré par l'impact négatif que j'ai eu sur le groupe, j'ai beaucoup aimé l'utilisation de mes capacités intellectuelles pour construire mon itinéraire parmi les prises. J'imagine que c'est quelque chose qui vient naturellement à tous les pratiquants avec un minimum d'expérience, donc c'est une possibilité qui n'est ouverte qu'aux grands débutants, mais j'aime beaucoup exercer cette espèce d'« intelligence appliquée ».

Le reste du groupe m'a rapporté une nette amélioration du rythme au fil de la traversée, et j'y vois simplement l'accumulation d'expérience dans la construction de l'itinéraire.

Il m'est arrivé une ou deux fois d'essayer de passer une prise à la force des bras, et j'ai tout de suite tiré la leçon et cherché plus activement comment passer ces situations à la force des cuisses.

Je ne me rends pas compte à quel point cet exercice demande de la souplesse (ou de la mobilité, je ne suis pas au clair sur la nuance), mais je n'ai eu à aucun moment l'impression d'être limitée dans ce sens (et là encore, je ne sais pas du tout où je me situe par rapport aux humains qui me côtoient).

L'épreuve mentale

Pour moi le mot « vertige » évoque une angoisse plutôt intense et aigüe. L'expérience que j'évoquais ci-dessus, en regardant en haut, se rapproche plutôt d'un frisson : une angoisse tellement intense que je fais immédiatement et instinctivement une mise en perspective pour la contrer.

À partir de là, j'imagine facilement une angoisse encore plus intense, au point de ne plus pouvoir la contrer, et qui paralyserait la personne qui la vit.

Je n'ai rien vécu qui y ressemble, donc je ne me considère toujours pas sujette au vertige.

En revanche, au cours de cette via ferrata, j'ai vécu une angoisse de fond, nettement moins intense, mais qui demande un effort constant pour la gérer pendant que je continue de fonctionner.

J'ai complètement confiance dans les infrastructures de la via ferrata, et je n'ai pas eu l'impression que ma vie était en jeu. Les conséquences probables d'une chute me semblaient plutôt relever de blessures immobilisantes, de la mise en œuvre de moyens de secours qui seraient peut-être mieux utilisés ailleurs, et de foutre en l'air tout l'emploi du temps prévu pour la suite.

Donc c'est peut-être juste une version du vertige qui est atténuée par la version plus bénigne des conséquences, mais ces conséquences restent suffisamment pénibles que les éviter reste une charge mentale constante.

Une autre façon de mettre en mots ce sentiment qui m'a accompagnée pendant toute la via ferrata, c'est qu'aussi bien professionnellement que dans mes loisirs informatiques que dans les jeux vidéos, j'ai toujours des backups et des points de sauvegarde, souvent sur plusieurs niveaux, et les conséquences de mes erreurs sont souvent très limitées.

J'ai eu l'impression que ce n'est pas du tout le cas en via ferrata, peut-être que je manque d'imagination sur les erreurs de gravité intermédiaire, mais je ne me suis senti le droit qu'aux erreurs les plus bénignes (comme essayer de se hisser avec les bras plutôt qu'avec les cuisses). Un peu comme si j'étais en train de développer un projet entier en éditant des fichiers textes en mémoire vive sur une machine dont l'alimentation a parfois un faux contact.

Du coup ce n'est peut-être pas tellement une version atténuée du vertige, mais une version aggravée du travail sans backup.

Je me donne la peine de décrire ce sentiment en détail, mais je ne voudrais pas donner l'impression que la place qu'il occupe dans ce billet est proportionnelle à la place qu'il a prise dans ma tête : ce n'est qu'une forme d'inconfort, désagréable mais loin d'être handicapant, moins désagréable que le soleil qui tapait sur ce versant.

Je suis quand même un peu embêtée par ce sentiment, parce que j'ai l'impression qu'en fait c'est la normalité de la vie humaine, et l'anomalie est plutôt le confort des backups et des points de sauvegarde. Je me complais peut-être un peu trop dans ce confort que je tiens pour acquis.

Observations en passant

Je n'ai pas pu ranger ça dans le bilan physique ni dans le bilan mental, et ce sont des observations secondaires, mais à mon avis suffisamment intéressantes pour les inclure ici.

L'importance des chaussures

Pendant cette via ferrata je portais des sneakers de ville (Geox Vega) avec des semelles fines et souples, et passablement usées, sans y avoir vraiment réfléchi avant. Ça n'aurait d'ailleurs peut-être pas été génial pour la randonnée si j'avais fait l'autre choix, il faudrait que j'y pense plus souvent.

Je pouvais compter le nombre de cailloux sous mes pieds, et j'avais une idée assez nette de leur forme.

C'était plutôt pratique pendant la via ferrata, parce qu'avec le souvenir de la forme des prises, je savais exactement comment mes pieds étaient placés dessus, et comment répartir mon poids.

L'inconvénient, c'est que mon poids est beaucoup moins bien réparti sur ma plante, au point d'être parfois douloureux.

Le plus pénible était cependant le manque de confiance dans leur adhérence. J'ai l'impression que ces semelles n'accrochent pas très bien intrinsèquement, et l'usure et l'humidité n'aident certainement pas.

Dans l'absolu je n'ai pas beaucoup glissé, mais j'ai suffisamment glissé pour avoir la certitude que c'est un danger existant, et ça a clairement participé à mon inquiétude tout au long de l'activité.

La transférabilité

Si je n'ai pas trop glissé pendant la via ferrata elle-même, l'approche était un peu plus difficile, et le retour beaucoup plus difficile, avec des descentes assez raides et des rochers pas super compatibles avec mes semelles.

Le manque de confiance dans l'adhérence de mes semelles m'a fait beaucoup recourir à mes mains. Ça n'avait pas l'air de choquer grand monde vers le haut, mais dans la partie de la descente qui était très raide à mes yeux (mais plutôt simple à ceux du guide), j'ai eu droit à quelques remarques.

Ce que j'ai trouvé amusant, c'est que dès qu'il faut se déplacer avec les mains et les pieds sur une surface à peu près horizontale, il y a les formes de gmb.io qui ressortent.

En particulier, le crabe se prêtait (à mon avis) très bien aux transitions entre les pieds uniquement, l'aide d'une main, et l'aide des deux mains.

Je soupçonne que ce soit le côté inhabituel de cette forme ait plus contribué aux remarques que le besoin d'assistance des mains faute de bonnes semelles.

En tout cas, ça valide la transférabilité des exercices de gmb.io, même si ça ne dit pas dans quelle mesure c'est mieux ou moins bien que ce j'aurais fait sans cet apprentissage.

L'importance des infrastructures

Il y a plusieurs endroits dans la montagne dans lesquels je n'avais pas du tout confiance. Ça ressemblait à des tas de cailloux en équilibre instable, et ils me donnaient l'impression de pouvoir basculer ou s'effondrer au moindre appui mal placé.

Pour les passer, j'ai fait un acte de foi volontaire et explicite, dans le guide et dans les gens qui entretiennent les bouts de métal qui constituent la via ferrata. Et a posteriori, effectivement rien n'a bougé.

Du coup je me demande (mollement) ce qu'il se passe avec ces structures. Y a-t-il quelque chose géologique qui colle ensemble tout ce tas en un seul bloc ? Est-ce juste le résultat de l'expérience « ici ça bouge pas, là-bas ça bouge » ? Comment vérifie-t-on que ça ne se met pas à bouger ? Y a-t-il une différence évidente entre les tas de cailloux fiables et les autres, que je suis juste incapable de percevoir ?

J'imagine que la sécurité en alpinisme est un domaine pris au sérieux, avec toute une base de connaissances scientifiques et empiriques qui en font un vrai métier et dont je n'ai pas idée.

J'ai juste été confrontée à la différence entre se poser ce genre de question théoriquement autour d'un café, et miser sa vie sur le fait que ce boulot a été bien fait.

La perte de gadget

Cette via ferrata a marqué le début de la fin pour ma montre Fossil, mais je n'arrive pas à savoir si c'est une coïncidence ou si l'activité a précipité cette fin.

Déjà, un choix malheureux de prise a causé les premières rayures sur le verre de cette montre, mais ce n'est pas grave, je peux vivre avec.

Depuis de nombreux mois, les contacts de chargement sont bouffés (probablement par ma sueur), et il est de plus en plus difficile de touiller le chargeur pour obtenir le contact.

Pendant cette via ferrata, j'ai constaté le premier crash loop de cette montre, symptôme qui ressemble énormément à ce qui se passerait si le bouton central était constamment appuyé. J'ai aussi constaté beaucoup plus de buée que d'habitude sous le verre.

J'ai supposé que la buée pouvait venir de la combinaison d'humidité, de fraîcheur, et de basse pression, donc je n'en ai rien conclu. J'imagine que la condensation n'a pas eu lieu que sur le verre, et que ça a pu conduire l'électronique à considérer à tort le bouton central comme appuyé.

Le comportement de la montre est revenu à la normale quelques heures plus tard, donc j'ai plus ou moins mentalement classé l'affaire.

Je ne me souviens plus exactement si c'était le lendemain ou quelques semaines plus tard, mais j'ai ensuite constaté que la corrosion des contacts en a traversé toute l'épaisseur, c'est-à-dire que le boitier est maintenant troué.

Ça fait pencher le tout plus vers la coïncidence, mais avec la transpiration qui rentre dans le boitier, je peux la porter de moins en moins souvent.

Et pendant la rédaction de ce billet, soit un peu plus d'un mois après la via ferrata, ou vingt-six mois d'utilisation quotidienne, je n'ai pas pu établir le contact entre le chargeur et les éventuels restes de contacts.

J'imagine qu'avec un peu d'imagination et une alimentation continue je pourrais faire durer cette montre un peu plus longtemps, mais il est temps de réfléchir à la suite. Ça fera évidemment l'objet d'un billet dédié, mais ce n'est pas joli-joli, et aujourd'hui mes deux poignets sont nus.

Conclusion

Je suis contente d'avoir participé à cette activité.

Je suis prudemment sortie de ma zone de confort, aussi bien sur le plan physique (mais pas autant que ce à quoi je m'attendais) que sur le plan mental (mais plus que ce à quoi je m'attendais).

J'ai un peu de mal à distinguer mentalement la via ferrata de l'escalade en salle et de l'accrobranche, et j'imagine que je mettrais plus ou moins dans le même sac l'escalade de surface naturelle et l'alpinisme. J'aime bien ces activités, mais cette expérience n'a pas fait évolué mon classement, et je ferais plus volontiers de la marche ou de la randonnée plus ou moins tranquille, ou de l'autodéfense plus transférable.

Mais comme je mets tout ça dans le même sac, je crois que je pratiquerais plus volontiers les activités les moins catastrophiques en cas de grosse erreur.

D'un autre côté, la via ferrata pourrait permettre de combiner une activité physique intéressante avec l'appréciation des paysages et des points de vue de la montagne. Je n'ai pas du tout en profiter cette fois, toutes mes ressources mentales étaient occupées par la compensation de mon faible niveau technique (et peut-être que je découvrirais plus de vertige si j'avais plus d'espace mental disponible).

Il n'y a pas vraiment de séjours réguliers (ou même irréguliers) en montagne dans la configuration actuelle de ma vie, et en vrai ça ne me manque pas du tout. Si ça arrivait je regarderai de plus près les possibilités de s'investir dans ce loisir.

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