01. Indécidabilité quantique
Bip. Bibip. Bibibip. Bibip.
Fait chier.
Bip. Bibip.
Ouais, ça va, j'arrive. Pas moyen de faire une sieste tranquillement…
Bibibip. Bibip. Bip.
— Allô ?
— Bonjour, professeur Kharezmi ?
— Ouais, c'est moi. Et vous êtes…?
— Bernard Deux-Gardes, je suis journaliste pour Science sans conscience.
Oh putain un journaleux. Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?
— Je vous appelle parce que j'aimerais beaucoup vous rencontrer, pour avoir votre éclairage sur…
— Écoutez, je suis quelqu'un de très occupé et…
— S'il vous plaît, c'est important, nos lecteurs aimeraient beaucoup…
— Désolé, je n'ai pas que ça faire de…
— Mais sur un sujet qui vous tient vraiment à cœur : l'indécidabilité quantique !
L'indécidaquoi !? Mais c'est quoi ce bordel !?
— Vous êtes de loin le meilleur expert mondial sur ce sujet, votre intervention est capitale pour nos lecteurs !
Mais ça n'existe pas ! Ça ne veut rien dire ! C'était juste… Non… Ce n'est pas possible !
— Professeur ? Allô ? Vous êtes encore là ?
— Heu… Oui… Oui, je suis là…
— Alors vous acceptez ? S'il vous plaît… Ce soir, au retcon, ce serait possible pour vous ?
Un journaliste au retcon !? Qui veut parler d'indécidabilité quantique… Ou alors c'est juste une mauvaise blague ?
— S'il vous plaît… je vous en prie !
— D'accord, je viendrai au retcon ce soir.
— Oh merci, merci beaucoup ! J'ai cru que j'allais devoir laisser tomber le sujet. Alors je vous retrouve là bas à huit heures, d'accord ?
— Huit heures, entendu.
— Merci énormément. À ce soir !
Qu'est-ce que c'est que cette putain de galère ?
Je souffle un peu avant de composer un numéro.
— Oui professeur ?
— Tu peux dire à Sophie que je ne pourrai pas être là ce soir ? J'ai heu… un petit souci personnel.
— Tout va bien professeur ?
— Oui oui, ne t'en fais pas. Tout va bien. Il faut juste que je change mes plans pour la soirée.
— D'accord professeur. Vous avez une conférence demain matin à l'université…
— Oui, pas de problème, je la ferai, ne t'inquiéte pas.
— D'accord. Bonne soirée professeur.
— Au revoir.
Je repose le téléphone, encore un peu chancelant. J'ai peur de comprendre.
Je retourne dans mon lit. J'essaye de calmer mes pensées. En vain. On dirait que la sieste est bien finie…
L'indécidabilité quantique. Ça ne veut strictement rien dire. C'était juste une blague, avec Ludo…
En fait c'était pire qu'une blague. C'était un véritable coup monté. On avait assemblé tout plein de mots techniques à la mode dans des phrases pompeuses, qui n'avaient absolument aucun sens. On voulait juste montrer qu'on pouvait dire n'importe quoi, il suffisait de le dire avec aplomb et sur un ton docte pour que ça passe pour une authentique avancée scientifique. C'était y a… houlà… longtemps. Ça ne marcherait plus aujourd'hui. Mais à l'époque avec Ludo, on a publié un bel article, on a fait deux conférences, et on a décroché notre diplôme, avant que quelqu'un se rende compte qu'en fait c'était vraiment du vent. Qu'est-ce qu'on se marrait…
On était deux jeunes cons à l'époque, mais on avait du talent on avait pas froid aux yeux. Depuis il s'est passé tellement choses… On s'est progressivement perdus de vue. Je pensais encore de temps en temps à lui, ce week-end encore je me suis demandé ce qui a pu arriver à ce pauvre Ludo.
J'ai continué ma carrière académique, mais lui il trouvait que ça ne faisait pas assez bouger les choses. Il avait besoin de se battre. Il est devenu journaliste. Un super journaliste d'enquête. À lui tout seul il rachète cette profession dans mon estime, et c'est pas peu dire. Il s'attaquait toujours au gros. C'était dangereux, je crois que c'est surtout pour ça qu'il s'est éloigné de moi. Il ne voulait pas me mettre en danger.
Lui il était du genre à aller au retcon. Le retcon, ce bar de geeks… Un des derniers endroits de ce monde où on peut être sûr que les paroles s'envolent. Un endroit réputé pour la puissance de ses brouilleurs, et la sensibilité de ses détecteurs d'électronique. Pas moyen de faire fonctionner le moindre microcircuit sans se faire détecter. Pas un endroit pour les journalistes, qui font plus confiance aux mémoires électroniques qu'à la leur. Une interview non-enregistrée, ça existe encore de nos jours ?
C'est pour ça que les pièces ne tombent pas tout-à-fait ensemble. Ce Bernard là, qui dit travailler pour un torchon qui prétend faire de la vulgarisation, mais qui fait surtout du sensationnel pseudo-scientifique… Qu'est-ce qu'il vient me parler d'une blague enterrée depuis des décennies, en plus dans le dernier endroit où un journaleux comme ça irait trainer…
Tout ça sent trop le Ludo pour être un hasard. Mais je la sens pas cette histoire. Je sens qu'il y a quelque chose de vraiment pourri quelque part…
À suivre : Rétro continuité
Commentaires
1. Le jeudi 4 juin 2009 à 7:31, par Cinn :
Voilà un début alléchant...
J'aime bien le nom du journal :)
2. Le jeudi 4 juin 2009 à 8:34, par diraen :
Vite, vite, vite ! la suite !
3. Le lundi 15 juin 2009 à 23:27, par Giusepe :
Oui, c'est un bon début. Une suite est indispensable.
ça me rappelle un peu, quand j'étais étudiant, on se lançait des défis entre nous : il fallait, pendant un oral, caser un mot ou imposé par les camarades.
entre autre, j'ai eu "raclette" ; "parcmètre" ; "rhododendron". c'était l'bon temps !
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- Publié le 3 juin 2009 à 20h23
- Dernière modification le 19 janvier 2010 à 20h49
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