Vœu

Je me glisse dans mon lit, après une longue journée. Trop longue. Beaucoup trop longue.

Je n'en peux plus. C'est trop difficile. Ça dure depuis trop longtemps. Je n'ai plus la force de me battre.

Je sens cette douleur dans ma gorge. Je connais trop bien cette douleur. Et merde.

Je fais de mon mieux pour retenir les larmes. Je n'y arrive pas très souvent, surtout ces derniers temps, mais j'essaye quand même. Il ne faut pas pleurer. Ça ne sert à rien. Ça ne résoud aucun problème. Ça ne fait que repousser l'heure à laquelle je trouverai enfin le sommeil. Ça ne fait qu'empirer mon manque de sommeil déjà difficilement gérable sans ça. Ça ne fait que me rendre encore plus faible et fragile.

Ma respiration est de plus en plus saccadée. Non, il ne faut pas. Il faut dormir. Non. Non. Nooooooooooon.

Je craque.

Le liquide chaud glisse doucement le long de mes joues, pour finir sur l'oreiller. Je n'en peux plus. Je ne peux pas gérer tout ça. C'est au dessus de mes forces. Un liquide plus épais glisse le long de ma lèvre supérieure. Je n'en ai pas la force. Je ne m'en sortirai jamais.

Ça ne peut pas continuer comme ça. Il faut que ça s'arrête. Il faut…

Quelque chose attire mes yeux habitués à l'obscurité. Quelque chose vers l'endroit du drap où mes premières larmes se sont écrasées. C'est comme si le halo verdâtre projeté par les chiffres de mon réveil était attiré par ici.

Le malaise resurgit en moi. Je m'effondre à nouveau. Mes yeux ont l'air tellement pleins qu'ils refoulent même les images. En fait ce ne sont pas mes yeux qui sont pleins, mais moi qui suis pleine de lassitude. Et de désespoir. Il y a des choses contre lesquelles on ne peut pas gagner. Jamais.

— Eh ben dis donc !

Mon attention est à nouveau attirée vers l'extérieur. Enfin, lorsqu'on commence à entendre des voix, c'est d'habitude plutôt de l'intérieur que ça vient, et ce n'est pas bon signe.

— Tu y vas fort !

Pourtant il y a bien quelque chose. En plus du halo verdâtre concentré. Comme une forme noire au milieu. Je m'essuie les yeux avec ma hausse de couette. Il y a bien une forme, qui ressemble à une femme, avec des proportions improbables et des ailes, qui doit faire un petit centimètre de haut.

— On dirait que c'est la première fois que tu vois une fée.

— Heu… oui.

— Ça arrive de temps en temps, lorsqu'un humain ressent une émotion très forte, le tissu de l'univers est tellement distordu que nous sommes aspirées dans votre réalité.

— Heu…

— Oui, bon, je ne vais pas te barber avec la théorie. D'ailleurs si on pouvait expédier tout ça, j'ai plein de trucs à faire chez moi avant demain. Aller, vas-y.

— Heu… quoi ?

— Mais tu n'y connais vraiment rien !? Tu dois faire un vœu, comme ça en l'exauçant je rends au tissu de la réalité une forme à peu près vivable, ce qui me ramène chez moi.

— Ah. Heu… tu peux résoudre mes p'tits soucis, là.

— Houlà, tu n'as vraiment pas l'air fut'-fut'. Si on te fait disparaître la difficulté devant toi, tu feras comment pour gérer la suivante, hein ?

— Ben…

— Si tu n'es pas assez forte pour gérer ce qu'il y a maintenant, tu ne t'en sortiras de toute façon pas avec ce qui vient après.

— Alors, heu… tu peux me rendre plus forte ?

— J'ai dit un vœu, pas un miracle !

— Tu peux m'aider avec tous ces trucs administratifs ?

— Bien, tu vois quand tu veux. Sauf qu'en fait le problème, c'est que tu ne veux pas. Tu t'es écoutée avec tes « Tu peux ceci. » « Tu peux cela ? » Je ne t'ai jamais parlé de pouvoir et de moi, mais de vœu et de toi.

— Je veux arriver au bout de toute cette paperasserie.

— Voilà, ça c'est un vœu. Malheureusement, je n'ai pas le pouvoir le pouvoir de l'exaucer. Les vœux n'importe comment comme ça, ça ne marche qu'qu cinéma.

— Mais alors…

— C'est logique, tu dois faire le vœu qui a foutu en l'air le tissu de l'univers.

— C'est quoi ce vœu ?

— Je ne peux pas te le dire. Mais tu n'as quand même pas déjà oublié j'espère.

— Alors c'est…

— Exactement.

— Mais je ne sais pas… enfin je ne veux pas… heu je ne suis pas sûre que…

— Mais si, réfléchis un peu. On ne souhaite pas aussi fort quelque chose pour rien. Prends ton temps, mais pas trop, tu verras que c'est ce qu'il te faut.

— Heu… Ben… Heu… Oui, c'est vrai. Tu as raison.

— Bien.

— Tu peux y aller. Je suis prête.

— Ah non, ce n'est pas comme ça que ça marche. Tu dois le dire. Clairement. À voix haute.

— Heu… Je… Heu…

— Oui, vas-y. « Je veux… »

— Je… Je veux… Ce n'est pas facile…

— Bien sûr, si c'était facile je n'aurais pas besoin de toi pour réparer les dégâts. Aller, cherche au plus profond de toi l'essence de ce vœu, c'est là qu'elle y est depuis tout ce temps. « Je veux… »

— Je… Je veux…

Je veux mourir.

La luminosité est soudainement revenue à la normale. Juste le halo uniforme, aucune trace de fée ou de n'importe quel être humanoïde en dehors de moi.

Mais quelque chose a changé. Je la sens. Je la sens en moi. La solution aux problèmes qui n'en ont pas. Avec un demi-sourire, j'envois un « Bonne nuit » à l'obscurité de ma chambre. Je m'endors sereinement, définitivement protégée du réveil et de tous les soucis de ce monde.

Commentaires

1. Le samedi 19 septembre 2009 à 20:49, par FrnchFrgg :

Très intéressant, j'ai bien aimé, ça commence noir, et puis on croit à une fin hollywoodienne, et puis en fait non. Genre comme dans je ne sais plus quel court métrage où le gentil elfe se fait renverser par une voiture avant d'exaucer le vœu (ou un truc comme ça).
Petit point négatif, j'ai deviné la fin à "tu verras que c'est le mieux" et commencé à pressentir quelques échanges avant, donc l'impression hollywoodienne n'a pas tenu assez longtemps.
Dans l'ensemble j'aime beaucoup.

Bon, par contre, des fois c'est bien de sortir du mode noir qui tord les tripes, parce que ça m'a travaillé quand même la fin. C'est plutôt un compliment et la preuve que c'est bien écrit, mais changer de genre et taper dans le très gai, ça peut être intéressant (même si c'est certainement moins exutoire).

2. Le lundi 21 septembre 2009 à 8:12, par Natacha :

Peut-être mettre « tu verras que c'est ce qu'il te faut vraiment » au lieu de « tu verras que c'est le mieux » ?

Et pour le genre, le problème c'est que l'inspiration, ça ne se contrôle pas, je la prends comme elle vient et quand elle vient. Mais je ne doute pas une seconde que d'ici pas longtemps je serais tellement débordante de bonheur et de joie de vivre que ça transparaîtra dans tous mes écrits.

3. Le mardi 22 septembre 2009 à 21:51, par wikiW :

moins « vraiment »

4. Le jeudi 24 septembre 2009 à 18:00, par Natacha :

Corrigé. Merci beaucoup pour votre aide \o/

5. Le vendredi 2 octobre 2009 à 13:54, par Giusepe :

Je viens de le lire, et ça a bien fonctionné pour moi, la chute a produit son effet.
j'ai bien aimé ce texte.
Ma petite critique (dans l'esprit positif de la chose, bien sûr...) concernerait plutôt le début. Je le trouve un peu trop démonstratif (comparé par exemple à la densité du dernier paragraphe). Je virerai par exemple le "Nooooooon".

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  • Publié le 18 septembre 2009 à 23h34
  • Dernière modification le 19 janvier 2010 à 20h49
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