Ce n'est pas l'âge, c'est le kilométrage

Lorsqu'au détour d'une conversation avec la nouvelle stagiaire du boulot, je me suis qualifiée de « vieille », et elle n'avait pas l'air d'accord.

Parfois on regarde les choses telles qu'elles sont en se demandant : « Pourquoi ? » Parfois on les regarde telles qu'elles pourraient être en se disant : « Pourquoi pas ? »

Pourtant j'ai déjà atteint l'âge canonique selon le complexe mode‐beauté, au delà duquel il faut avoir les cheveux courts, car les longs cheveux mettent en valeur les rides.

Cela dit, je n'ai jamais suivi le complexe mode‐beauté, il n'y a pas de raison que je ne le cite que lorsque ça m'arrange. Après tout, j'ai franchi le tiers de l'espérance de vie féminine française il n'y a pas si longtemps que ça.

Pourtant ça fait depuis très longtemps que j'ai l'impression qu'un nombre d'années ne rend pas vraiment justice à ce dont je suis capable ou à ma façon d'être. On pourrait se perdre dans les conjectures sur le pourquoi, un don exceptionnel, trop d'horreurs auxquelles j'aurais survécu, un environnement familial favorable, une intervention divine, de la simple malchance, une expérience menée par des extra-terrestres, etc.

Mais même en ayant mieux tiré parti de mon temps sur Terre qu'une bonne partie des humains, ça n'a finalement pas grand chose à voir avec la vieillesse. Enfin la vieillesse subjective. Et puis en plus, ça fait depuis très longtemps que je ressens ça, alors que mon impression d'être vieille est plus récente. Peut-être quelques mois, une grosse année tout au plus.

Ce qui donne l'impression d'être vieille, c'est plutôt mon positionnement par rapport aux autres.

Avant, et jusqu'à aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été pas loin de gens auprès de qui apprendre. Au début mes parents, puis des professeurs, des élèves plus âgés, des condisciples exceptionnels, des scientifiques excellents, etc. J'étais étudiante, j'ai gravi des échelons vaguement élitistes, j'apprenais au contact des autres, c'était bien.

P'tite conne c'est oublier que toi T'étais là pour personne Et qu'personne était là

Et maintenant que je suis dans la Vie Active, après m'être tellement battue pour ne pas faire à longueur de journée quelque chose qui m'écœure, je n'arrive plus à trouver de maître dont je pourrais être la disciple. Je me retrouve moi-même, trop souvent à mon goût, à tenir la place du maître.

Je ne me sens pas juste vieille comme quelqu'un qui a trop déroulé de câble, mais plutôt vieille comme le sage qui s'est retiré dans les montagnes, à offrir des miettes de sagesse à qui a le courage de le chercher si loin.

Je continue de progresser. Heureusement d'ailleurs, sinon j'aurais beaucoup de mal à supporter cette vie. Mais je progresse seule.

Je continue encore naïvement à demander de l'aide lorsque je me retrouve bloquée, incapable de continuer seule. Par exemple, lorsque j'essaye pour la première fois d'écrire un port, ou lorsque j'essaye de tirer parti des extras de mon clavier, ou lorsque j'essaye de déployer des service jails IPv6, ou lorsque j'essaye de mettre en place un WiFi IPv6 pur avec IPSec, ou lorsque j'essaye de crocheter les dernières serrures en ma possession qui me résistent, ou lorsque j'essaye de refournir ma garde-robe, etc. Je n'ai rencontré que /dev/null.

Évidemment ça a l'air négatif comme liste, parce que ce ne sont que des échecs, des situations dans lesquelles j'ai dû capituler. C'est sans compter les dizaines de points similaires que j'ai fini par résoudre toute seule. Par exemple, la découverte de Lua, l'ouverture d'une interface Python dans un programme Ada, la pose de moustiquaires, la sélection d'un fournisseur d'infusions à mon goût, etc.

Bref, je me sens vieille juste parce que j'ai survécu à toutes les relations disciple‐maître à ma portée.

Commentaires

1. Le mardi 2 juillet 2013 à 21:45, par un anonyme :

Arf, je me sens moins seul tout suite. J'ai pas mal testé le coup de la question, où personne n'a la réponse, sauf moi quelques semaines plus tard.

2. Le mercredi 3 juillet 2013 à 19:36, par _FrnchFrgg_ :

Je ne sais pas comment mesurer si le PORT est un échec selon tes standards, mais moi j'ai vu une aide de la part d'un autre dev qui a conduit à l'introduction officielle du PORT ? Ça me parrait plutôt un succès à moi.

Sinon, pour le clavier, que fait Linux avec ? Note, tu as peut-être résolu la question par toi même depuis mais je n'ai pas trouvé de followup à ton post.

Enfin, je ne sais pas si c'est une bonne définition de vieillesse que tu prends là; j'y ajouterais la lassitude (qui est peut-être là), et l'impression de ne plus pouvoir faire autant qu'avant (qui semble-t-il ne l'est pas).

Personnellement j'ai choisi une branche où j'ai encore beaucoup à apprendre, et même si devant les élèves il n'y a pas d'interaction possible avec les collègues il y a la possibilité de demander conseil... Et lesdits collègues sont souvent généreux en explications/conseils/aides en tout genre --- déformation professionnelle oblige ?

3. Le jeudi 4 juillet 2013 à 7:37, par Natacha :

_FrnchFrgg_, ce que tu as vu est postérieur à la publication de cet article.

Pour mon clavier sous Linux, il y a des drivers qui ont été écrits, et c'est à partir d'eux que j'ai pu comprendre le fonctionnement matériel de mon jouet, mais cela n'est d'aucune aide pour écrire un driver FreeBSD. Et je n'ai pas avancé sur ce point, le problème des murs, c'est qu'ils sont résistants.

Quant à ma définition de la vieillesse, je ne prétends pas qu'elle est raisonnable, vu qu'elle est explicitement décrite comme purement émotionnelle. Je me sens comme dans le vieux sage isolé dans la montagne, et dans « vieux sage isolé dans la montagne », il y a « vieux ».

Enfin comme dit explicitement dans l'article, je progresse encore, tout comme le vieux sage dont j'ai l'image en tête. Le jour où j'arrêterai de progresser, je me batterai pour obtenir une euthanasie. Juste que je progresse seule.

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  • Publié le 27 juin 2013 à 22h46
  • État de la bête : en contemplation méditative
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