Comment me faire fuir
Dans le blog Rands in Repose, j'ai découvert un article intitulé The Surprisingly Large Cost of Telling Small Lies (mais il semble que le New York Times ait tué ce lien), même si j'ai tendance à préférer le titre donné par Rands : Complete Honesty is the Access to Ultimate Power.
En introduction, décrit une conversation avec un investisseur qui a bien réussi, dans laquelle elle pose la question « Quel est, selon vous, le secret du succès ? », en s'attendant à une réponse bateau. Il a répondu : « Le secret du succès en affaires et dans la vie, c'est de ne jamais jamais jamais dire de mensonge. »
Tout le monde sait que mentir, c'est mal. Mais un petit mensonge, ça ne peut pas être si grave, n'est-ce pas ?
Il paraît qu'une étude a mesuré que 60 % des adultes seraient incapables de tenir 10 minutes sans mentir. Je me méfie des titres accrocheurs comme ça, mais si on compte tous les mensonges, petits et grands, directs et par omissions, demi-vérites comprises, ça me paraît tout-à-fait vraisemblable et compatible avec mes observations quotidiennes.
Comme tout le monde, j'ai l'impression que ça ne concerne que les autres, et je ne suis pas comme ça. Non pas que je ne mente jamais, j'ai bien conscience de la quantité de mensonges qui traversent mes lèvres, mais je mens relativement peu, car je suis trop perfectionniste pour faire des petits mensonges, trop faciles à découvrir.
Mais que se passe‐t‐il lorsque l'on applique pas cette recette du succès dans le monde professionnel ?
Imaginons par exemple que vous soyez en train de m'accuser de saboter mes entretiens d'avant‐mission chez les clients.
Peut-être avez-vous conscience de la faiblesse de vos accusations, et vous tournerez autour du pot, sans jamais le dire explicitement. Ça devrait déjà être un indice de mauvaise foi, mais je suis encore trop naïve et je ne le relève pas.
Donc le message passe quand même, et je m'imagine, toujours aussi naïvement, qu'il s'agit d'un reproche constructif, destiné à améliorer la communication et à améliorer aussi bien le résultat pour le client que pour l'entreprise qui m'emploie que pour moi.
Or à force de biaiser, même si le fond du reproche passe, les détails manquent cruellement, de sorte qu'en l'état je ne peux rien en faire. Alors, victime de mon perpétuel désir de m'améliorer, je demande des détails.
Alors vous me donnez un exemple d'une situation. Ce n'est pas cohérent, cette situation avait déjà été expliquée par une cause du côté du client, sans qu'il ne soit jamais question de malveillance de ma part. En bonne élève, je recrache donc l'explication passée, et vous acquiescez immédiatement à l'écoute de ces paroles que vous avez vous-même construites.
Vous fuyez donc l'incohérence en repartant sur une description vague et générale de cette mauvaise volonté que je ne devrais pas avoir.
Par politesse, je vous laisse parler, et vous vous lassez assez vite des généralités, pour retomber dans une situation particulière où j'aurais été fautive.
Hélas, c'est également une situation qui avait été expliquée autrement, de façon beaucoup plus cohérente avec son contexte. Chose que je fais remarquer, et une fois de plus vous acquiescez à la reprise de vos propres mots, et un tiers en rajoute même une couche.
Et le cycle recommence.
Un peu comme dans la série de jeux vidéos Phéonix Wright, où on incarne un avocat de la défense, et dans certaines phases du jeu on écoute un témoin amené par l'accusation et on doit pointer les contradictions dans son témoignage. Témoignage qu'il corrige, du coup, mais qui contient encore une contradiction à trouver, et ainsi de suite, jusqu'à ce que l'innocence de l'accusé éclate.
Après quatre ou cinq fois ce schéma, vous en arrivez à ressortir un exemple antédiluvien, et dont ma mémoire n'arrive pas à ressortir d'explication alternative. Par contre ce n'est toujours pas cohérent : il s'est écoulé tellement de temps depuis ces faits, que s'il y avait une faute systématique de ma part, j'en aurais probablement déjà entendu parler.
Je comprends également à ce stade que vous avez absolument besoin que j'avale ces accusations (sinon pourquoi un tel entêtement ?), malgré leur absence complète de fondement (pour autant que je sache).
J'en arrive ainsi à la triste conclusion que ces reproches ne sont pas nés de faits, mais que les faits ont été réquisitionnés à la hâte pour essayer vainement de camoufler un mensonge. Et de chercher quelles motivations peu recommandables ont pu conduire à la naissance d'un tel mensonge.
Mais après tout, peu importe le pourquoi. Le résultat est là : j'ai très bien remarqué que vous avez essayé de me faire avaler un mensonge, ce qui pourrit l'ambiance de travail et anéantit tout le respect et la confiance que j'aurais pu avoir envers vous.
Et ça me donne envie de partir. Loin.
Commentaires
1. Le samedi 19 juillet 2014 à 1:10, par 17 :
Le problème pointé ici n'est, il me semble, pas tant le mensonge qui je pense dans certain cas peut être négligeable voire même bénéfique, mais plutôt le sentiment de trahison qu'engendre ce dernier une fois qu'il a été mit en lumière, l'impacte injustifié qu'il a causé pour des raisons injustifiées voire immorales.
Il me semble donc que ce n'est donc pas tant le mensonge qui cause préjudice que la mauvaise intention.
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- Publié le 10 mai 2014 à 21h27
- Dernière modification le 16 mai 2014 à 18h16
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