Journal d'une apprentie motarde, bilan 2020
J'ai déjà dit moult fois que je n'arrive pas à faire de bilan annuel de ma vie, mais dans le domaine particulier de mes chroniques d'apprentie motarde ça a l'air de venir assez naturellement (au moins pour l'instant), comme l'année dernière, alors autant en profiter.
Pour énormément d'humains, 2020 a été une année de grands bouleversements, et je n'échappe pas à la règle. Ma pratique du deux-roues motorisé en a sérieusement pâti : entre les confinements et des circonstances personnelles qui m'ont interdit d'en chevaucher, il ne restait même pas la moitié de l'année pour m'adonner à ce loisir.
Et pendant cette (demi) année, j'ai parcouru 499 km, ce qui est beaucoup plus faible que les 744 km que j'ai parcourus pendant les deux derniers mois de 2019. Ce qui soulève la question « pourquoi ? » sans laquelle ce billet n'aurait peut-être pas vu le jour.
Il paraît que les six premiers mois après l'obtention du permis sont particulièrement propices aux accidents, je ne sais pas trop si ce délai mérite une rallonge vu mon faible kilométrage, mais je suis assez fière de ne pas avoir touché le sol avec autre chose que les pneus et les béquilles pendant plus de 14 mois. Je m'attendais sérieusement à au moins une chute à l'arrêt sans gravité sur une plus petite période.
La Peur
J'avais parlé dans le bilan 2019 de la Vraie Peur, une émotion aigüe, très courte mais intense de crainte pour mon intégrité physique.
En 2020, je découvre une Peur plus chronique, moins forte mais permanente, et qu'il faut quand même gérer. Peut-être que le mot « inquiétude » serait plus approprié pour désigner le ressenti. Ou peut-être même simplement « conscience qu'il existe des risques dans la circulation à moto ».
Je n'ai jamais cherché à éteindre cette sensation. Quelque part, j'ai même cherché à l'entretenir, parce qu'elle contribue à me garder concentrée sur la route et attentive à mon environnement, et à ne pas me laisser partir quand je ne suis pas suffisamment en forme.
La différence avec la conduite automobile est assez flagrante, car je n'y ressens rien de ce type, et ça en fait une activité anodine, contrairement à la conduite en moto qui est une activité dangereuse. Je soupçonne que c'est un reste de la sous-estimation des risques en automobile qui traverse notre société. Peut-être que je les surestime en moto, mais il me semble qu'une quantité non-nulle de cette Peur serait raisonnable en voiture.
Résultat, je ne démarre jamais ma moto sans avoir conscience des possibilités d'accidents, éventuellement très graves, et avoir choisi consciemment de prendre ces risques face aux bénéfices escomptés.
Je trouve que c'est plutôt une bonne chose, et je n'ai pas l'intention de changer ça.
Compter sur les autres
C'est là que la particularité de 2020 intervient : l'état des services d'urgence capables de me ramasser rentre dans cette équation entre bénéfices et risques.
En ayant mentalement affecté tous ces services à la crise sanitaire, il n'en restait plus pour moi. J'ai donc vécu les 9 derniers mois de 2020 comme dans un pays sans aucun service de secours.
Écrit comme ça, je me rends compte à quel point c'est idiot : les services de secours sont bien plus larges que ce qui est mobilisé pour gérer le covid, en dehors des plus graves pics hospitaliers il y aurait de la place pour moi en plus des corvidés, et de toute façon après un accident de moto la différence entre être en réanimation et morte est tellement aléatoire et tellement improbable dans les deux cas que ça ne mérite pas une place significative dans l'équation.
Je ne sais pas trop dans quelle mesure je peux facilement outrepasser mon « raisonnement » instinctif avec ces considérations rationnelles, mais j'aimerais bien ne plus être bloquée par ça en 2021.
L'écolo-culpabilité
Un sentiment que j'ai plus de mal à cerner, qui a à peu près les mêmes effets que la Peur, est une forme de culpabilité à faire brûler de l'essence avec mon engin, alors que la planète est dans une crise environnementale majeure.
Je suis intellectuellement convaincue de l'inutilité de ce sentiment. J'ai la conviction que la crise climatique est beaucoup trop grave pour que les comportements individuels aient le moindre impact. Les « si tout le monde faisait telle chose, ça aurait un impact » sont faux la plupart du temps, et le reste du temps ils négligent des effets indirects majeurs, et dans tous les cas ils sous-entendent « tout le monde devrait faire telle chose » et ne sont jamais loin d'un « il faudrait obliger tout le monde à faire telle chose » tellement autoritaire que je trouve que la disparition de l'humanité serait un moindre mal que cet autoritarisme.
Cela dit, je ne suis pas complètement détachée émotionnellement de cette culpabilité écologique, et utiliser ma moto pour me déplacer me donne souvent l'impression d'être sale, un peu comme chier dans de l'eau potable.
Je continue, dans la suite de ce billet et dans ma tête, de la ranger avec la Peur parce que les conséquences pratiques sont les mêmes, mais je me débarrasserais volontiers de ce sentiment.
Les trajets utilitaires
On pourrait s'attendre à ce que la combinaison de la Peur et l'illusion de ne plus avoir accès aux services de secours me coupe complètement de la pratique motocyclique, et finalement cinq cents kilomètres dans ce contexte c'est presque « beaucoup ».
Et effectivement, aucun de ces kilomètres n'a été fait en « loisir » ; je n'ai fait en 2020 aucun trajet à moins d'en avoir autre utilité que mon plaisir personnel et le maintien de mes compétences.
Tous mes déplacements ont été utilitaires, soit parce qu'il fallait que j'aille d'un point A à un point B pour une raison extérieure quelqu'en soit le moyen (aller travailler lorsque c'est nécessaire, les rendez-vous médicaux, etc), soit pour maintenir la possibilité de ce moyen de transport (entretien de la moto, achat de protections plus larges, etc).
La caractéristique principale des trajets utilitaires est que rester à la maison à geeker lamentablement n'est pas une option. Mon entourage a majoritairement ressenti la moto comme un moyen de transport moins dangereux que les transports en commun aux heures de pointe, et je n'ai pas eu à me poser personnellement la question pour suivre.
D'ailleurs je me demande si c'est objectivement vrai, mais j'ai l'impression qu'on ne peut répondre fermement faute de données solides sur les contaminations en transports en commun.
Techniquement, il restait aussi les alternatives de la marche et de la voiture, mais elles sont très consommatrices en temps, et la marche sans assistance du bus était déjà à la limite de mes capacités physiques quand j'étais au mieux de ma forme (pendant les grèves avant la crise sanitaire), c'était hors de question ici.
Moto-Boulot-Dodo
Un cas particulier de trajet utilitaire qui mérite une entrée à part est le déplacement entre mon domicile et mon lieu de travail, qui représente plus de la moitié de ma distance parcourue à moto en 2020, alors que chaque trajet est individuellement assez court pour que je puisse le faire à pied.
Je retrouve mes conclusions en 2019 : tout le monde me disait que ce serait chiant, au point que je m'attendais à arriver aussi à cette conclusion après avoir essayé, et finalement c'était tout à fait compétitif avec les alternatives.
Maintenant que j'ai essayé à de plus nombreuses reprises, je confirme, et je pense en avoir vécu assez pour que la conclusion soit définitive. Le niveau de plaisir est du même ordre que lire un bon roman dans le bus ou que marcher, et ça deviendrait sans hésitation mon moyen de transport professionnel principal s'il n'y avait pas la Peur, la nécessité d'être bien réveillée avant de partir, et la contention avec des ressources mentales (concentration et attention) utilisées au travail.
Pour l'instant je pense qu'une fois la crise sanitaire passée, je reviendrai au roman dans le bus le matin et la marche le soir, l'un pour pouvoir le faire au radar et l'autre pour ma ligne, mais c'est loin d'être complètement certain.
Le déclic de l'inter-file
On m'a dit pendant la préparation du permis que l'acquisition des compétences motocycliques se fait surtout par déclics, et ça s'est vérifié spectaculairement dans la leçon n°9, au cours de laquelle le parcours lent du plateau m'a soudainement paru beaucoup plus grand.
J'ai vécu quelque chose de similaire en septembre 2020, dans l'inter-file sur le périphérique. Ou alors depuis ce jour-là, les automobilistes parisiens laissent beaucoup plus de place entre la deuxième et la troisième voie, mais ça me paraît moins plausible.
Cela dit, je reste globalement timorée de l'inter-file : je me rabats plusieurs fois par kilomètre pour laisser passer des autres deux-roues, alors que je n'y ai jamais rattrapé personne, et je ne suis toujours pas à l'aise à côté de la plupart des véhicules utilitaires, au point de rarement passer entre deux véhicules de ce type.
Ça fait quand même chaud au cœur de voir une progression aussi flagrante, et ça diminue mon impression de risquer activement ma vie à chaque passage sur le périph' chargé.
L'excès de vitesse
Je suis globalement respectueuse des limitations de vitesse, surtout parce que je ne vois pas l'intérêt de les franchir et que je crains les sanctions administratives que ça peut provoquer.
Cela dit, j'ai toujours considéré mon intégrité physique comme plus importante que ma situation administrative ; dit autrement je suis prête à violer allègrement le code de la route si c'est au bénéfice de ma sécurité.
C'est pour ça que dans les situations de circulations dense, comme celles que j'ai majoritairement connues en 2020, j'adapte ma vitesse et ma position sur la chaussée en fonction des autres utilisateurs, et si j'étais dans un flux de véhicules à 130 km/h dans une zone limitée à 30 km/h ne chercherais pas à lutter contre le flux. Je ne fais donc pas si souvent que ça attention à mon compteur de vitesse.
Il y a eu cependant un épisode intéressant sur le périphérique, limité à 70 km/h, dans une zone à trois voies. La voie de gauche ne devait pas être loin de la limite réglementaire, la voie centrale était significativement ralentie devant moi, alors qu'une voiture arrivait rapidement derrière moi, et la voie de droite était encore plus ralentie.
Je sentais donc déjà mon espace vital se réduire, quand une camionnette est passée de la voie de gauche à la voie centrale derrière moi.
Et j'écris « derrière moi » pour lui laisser le bénéfice du doute, subjectivement je n'étais pas sûre de distinguer entre « derrière moi avec une distance de sécurité très insuffisante pour mon goût » et « sur le point de bousculer ma roue arrière avec son pare-chocs ».
J'ai lu à plusieurs reprises des discussions houleuses où des motards défendaient la puissance de leurs engins en argumentant de situations dangereuses dont on ne peut que sortir « par devant », donc en accélérant promptement, alors que les autres argumentaient que plus de vitesse c'est toujours plus de danger (car plus d'énergie cinétique à dissiper) et qu'il y a toujours une sortie « par derrière », en freinant.
J'avais personnellement un avis mitigé, parce que les seconds semblaient négliger le fait que l'avant et l'arrière ne sont pas symétriques : la visibilité vers l'avant est bien meilleure, ce qui permet d'utiliser des échappatoires « par devant » qui relèveraient de la cascade ou d'un appel à la chance « par derrière » juste à cause du manque de visibilité et de finesse dans les manœuvres.
Mais cette situation que j'ai vécue personnellement, relativement tôt (à mon goût) dans ma carrière motocyclique, me convainc que les situations où la seule issue est « par devant » ne sont pas si rares.
Je me suis donc échappée « par devant », en utilisant le fait que la camionnette à cheval entre la voie de gauche et la voie centrale garantit qu'aucun interfileur ne passera par là, et je suis allée me placer sur la voie de gauche, loin devant la camionnette et la voiture qui était devant moi.
Après cette manœuvre, j'ai réduit l'accélérateur pour retrouver une vitesse acceptable, en jetant un œil au compteur, qui indiquait 90 km/h.
Je n'en suis pas fière, je ne prétends pas en tirer des points de « Bad Girl » ou de rebelle ou quoi que ce soit, mais c'est un épisode qui semble intéressant à consigner dans le présent journal parce que même avec le recul j'ai encore l'impression d'avoir fait ce qu'il fallait faire.
L'airbag
Je me suis laissée convaincre par un vendeur d'investir dans un gilet airbag autonome, qui se trouve être celui de Furygan.
De façon générale, je suis très ATGATT, principalement sous l'effet de la Peur : je n'allume jamais le moteur sans être intégralement protégée (casque, veste avec dorsale, gants, pantalon, bottes ou chaussures), et j'ai toujours été dans l'idée que plus de protections c'est toujours mieux, tant que j'ai les moyens financiers pour me le permettre.
Le gilet airbag touche aux limites de cette idée : c'est un inconfort supplémentaire auquel j'ai du mal à me faire (contrairement aux autres protections ou aux autres inconforts inhérents à la moto), on n'est jamais complètement sûr qu'il se déclenche en cas de besoin (contrairement aux protections passives qui sont toujours là) ou qu'il ne se déclenche pas intempestivement, et il impose des vestes qui me plaisent guère.
Je trouve ce dernier point un peu nul, mais c'est comme ça que je le ressens : j'aime beaucoup ma Stella Jaws, je suis très triste d'avoir trop grossi pour rentrer dedans, et je me venge peut-être injustement sur le gilet airbag qui veut encore plus de place entre ma veste et moi, mais je crois que je suis quand même plus à l'aise dans une veste plus ajustée. Et je suis aussi super triste que les gammes féminines n'aillent pas jusqu'à ma taille, et que les gammes masculines soient encore moins à mon goût en serrant la poitrine et en flottant à la taille.
Et en remettant le côté financier dans l'équation, avec cet équipement aussi cher que tout le reste de ce que je porte réuni, je remets sérieusement en question la pertinence de cet achat.
Pour l'instant je continue de l'utiliser religieusement, un peu pour lui laisser le temps de me convaincre et surtout parce qu'avec ma morphologie actuelle, la combinaison de ce gilet avec une veste pour laquelle je n'ai pas d'autre dorsale est ce qui m'est le moins inconfortable.
Quand j'aurai suffisamment maigri pour remettre ma veste en cuir, ou que j'aurai craqué pour une autre, je risque de me reposer la question de l'airbag, en cherchant s'il y a des solutions plus à mon goût, ou considérer pour la première fois de ma vie régresser dans l'équipement de protection.
L'ascension du Mont Stupide
Je suis peut-être un tout petit moins sujette à l'effet Dunning-Kruger que la plupart des gens, grâce à mon léger biais dans mon auto-évaluation, mais je ne souviens m'être plusieurs fois demandé si je ne venais pas de lâcher une réflexion du haut du Mont Stupide.
C'est dommage que je n'ai pas mémorisé de quelles réflexions il s'agissait ou au moins à quelles occasions je les avais faites ou à quelles conclusions elles arrivaient.
Cela dit, de façon générale, au cours de 2020 j'ai clairement acquis de la confiance en moi au niveau de la conduite motocyclique, et dans une moindre mesure dans la conduite automobile.
Et inévitablement, avec cette confiance en soi vient la crainte d'en avoir trop.
À quel moment vais-je sortir de ma zone de confort ? M'en rendrai-je compte trop tard ?
Il est souvent dit que les six premiers mois après le passage du permis sont les plus chargés de risque. J'ai l'audace de croire qu'il n'y a rien de net dans cette limite, et que le risque décroît avec l'expérience, et décroit de plus en plus lentement au fil des progrès de plus en lents avec la montée en niveau.
Cela dit, cette heuristique d'environ six mois est-elle transposable à la période actuelle ?
Si le temps réel est idiot comme mesure de l'expérience (ne pas toucher à une moto dans les six mois qui suivent l'obtention du permis garantit l'absence d'accident, mais fait plutôt augmenter le danger que le réduire), le kilométrage n'est pas terrible non plus, il suffit de faire 500 km avec régulateur de vitesse sur une autoroute peu fréquentée pour se convaincre que tous les kilomètres ne se valent pas.
Une meilleure heuristique serait peut-être le temps passé à conduire, surtout avec mon utilisation de la moto sans régulateur de vitesse ni vastes périodes peu demandeuses d'attention (mais ça pourrait changer dans le futur).
Malheureusement, je n'ai commencé à noter le temps enregistré par l'ordinateur de bord que début 2020, et je n'ai pas la patience (ou les outils adaptés) pour extraire cette information des fichiers GPX de 2019. Et de toute façon, ça ne dit pas à combien correspondent (même approximativement) les six mois « à risque ».
Pour la mesure, l'ordinateur de bord était allumé pendant 22h28 en 2020, et il ne doit pas y avoir plus de quelques minutes là-dedans sans que je sois assise sur la selle.
Si seulement je pouvais me faire une idée d'où ça me situe par rapport au Mont Stupide et au danger de l'inexpérience…
La reprise des trajets de loisir
Comme écrit plus haut, j'ai l'intention d'entretenir ma Peur mais de neutraliser l'illusion qu'il n'y a plus de services de secours en France (du moins dans que c'est une illusion), pour reprendre des balades pour le plaisir.
Il y a cependant d'autres difficultés entre ces balades et moi.
Se mettre en route
La première est qu'il y a une sorte d'énergie d'activation pour s'y mettre, et que j'ai du mal à la rassembler pour du loisir, alors que pour un trajet utilitaire la contrainte externe s'en charge.
Pour ceux à qui le concept d'énergie d'activation ne parle pas, je trouve qu'un exemple économique est plus facile d'accès : imaginons que l'on vous propose, juste une fois dans votre vie, de donner 100 € pour recevoir 150 € quelques heures plus tard, ou donner 100 000 € pour recevoir 100 250 € quelques heures plus tard, ou aucun des deux. Le bénéfice dans le deuxième cas est clairement le meilleur, mais encore faut-il avoir 100 000 € à donner tout de suite, sinon cette option n'est pas vraiment disponible. Et si on n'a pas 100 € tout de suite, seule la proposition sans bénéfice est disponible.
Sans métaphore, il m'arrive de choisir une activité dont le bénéfice « plaisir » est inférieur parce que l'effort pour se lancer dans une activité plus plaisante est prohibitivement élevé.
Et l'effort pour partir en moto est de loin le plus élevé de tous mes loisirs, entre passer en revue deux ou trois fois ma checklist de choses à ne pas oublier de prendre avec moi, porter toutes les couches d'armure, manœuvrer la moto de son parquage, sortir du garage et du quartier en évitant toutes les embûches habituelles qui s'y trouvent, et la même chose dans l'autre sens à l'arrivée.
Certes, il y a un peu de flemme dans le fait de choisir une activité plus facile d'accès quoique moins gratifiante, et d'autres choses aussi peu reluisantes, mais pas que. Il y a aussi le fait que contrairement aux métaphores, le bénéfice n'est pas de même nature que le coût, et payer un coût plus grand, quelqu'en soit le bénéfice, peut avoir des conséquences indirectes que je refuse.
L'exemple concret le plus simple ne relève pas du loisir, mais la concentration et l'attention dépensée dans le trajet pour aller au travail fait ça de moins pour faire avancer mon projet professionnel ; le même genre de chose se produit en loisir et contribue à me faire renoncer à sortir.
Quoi qu'il en soit, si je n'abandonne pas à court terme la conduite motocyclique, il va falloir que je fasse en sorte de diminuer ce coût d'entrée, ou au moins de le lisser dans le temps. Je commencerai par ranger l'armure de façon à faciliter les transitions, et rationaliser la bagagerie, et des automatismes viendront sans doute avec la pratique. Cependant, je doute de pouvoir arriver au point où l'analyse qualitative ci-dessus change.
La force du groupe
La deuxième est que la balade en moto de base est un plaisir solitaire.
Ce n'est pas négatif en soi, mais c'est un handicap quand l'activité est en compétition avec des activités dont le plaisir personnel est amplifié par le fait de le partager avec un groupe ou avec ma moitié. Visiblement tous les instincts grégaires n'ont pas disparu chez moi.
Résultat, si j'ai deux heures et que j'ai le choix de les passer dans une balade à moto, ou à regarder un film qui m'intéresse moyennement avec ma moitié, ou à faire un donjon mythique avec mes camarades de guilde à World of Warcraft, la moto va rester dans le garage.
On pourrait objecter, à raison, qu'il ne tient qu'à moi de faire de la balade en moto une activité de groupe. Peut-être en contactant David Madore pour lui demander s'il partagerait encore sa connaissance de la région, comme dans les balades que j'ai beaucoup aimées en 2019. Ou peut-être en suivant son exemple en allant sur motards-idf.fr chercher un groupe ou en monter un au besoin. Ça aurait en plus l'avantage de répartir la charge mentale et de rendre plus facile de se mettre en route.
Il faudrait juste que j'arrive à me débarrasser de l'idée que je suis tellement nulle et désagréable que n'importe quel groupe est meilleur sans moi et que tous ces gens auront une bien meilleure vie si je m'en tiens soigneusement éloignée.
À ce niveau de travail sur soi, c'est peut-être moins violent de viser la balade en solitaire…
La mémoire du plaisir
La troisième, que j'ai failli oublier parce que je l'ai déjà évoquée plusieurs fois et que ça n'a pas évolué depuis, est que je n'ai toujours pas de mémoire des sensations positives que j'éprouve sur la moto.
Ça n'a pas que des mauvais côtés, je redécouvre candidement à chaque trajet à quel point ça me plaît, et je saurais rapidement si ça cessait d'être le cas. J'imagine que ça aide aussi à empêcher ce plaisir de s'user, mais en fait je suis incapable de détecter une éventuelle usure.
Le résultat concret est qu'avant de partir, je n'ai aucune mesure du bénéfice que je vais tirer de l'activité. Ça nuit à la comparaison avec d'autres activités, et mon caractère prudente a tendance à préférer un petit plaisir sûr à une activité incertaine.
Conclusion
Je considérais 2020 comme une année quasiment sans moto, et je pensais que ça se traduirait par un manque de contenu dans ce bilan, alors que finalement il y a pas de mal de choses à en dire, y compris comment empêcher 2021 d'être pareil.
On verra bien comment l'aventure continue…
Commentaires
1. Le vendredi 8 janvier 2021 à 23:30, par Ruxor :
La peur, je la ressens principalement avant de partir et après être rentré, mais pas pendant que je suis sur la moto. Je ne sais pas si c'est une bonne chose (est-ce que je l'intériorise au point qu'elle m'évite de faire des bêtises sans pour autant me distraire pendant la conduite ?). Je sens clairement que mes compétences s'améliorent avec le temps ou les kilomètres parcourus, mais je sens aussi que ma perception de mes propres compétences m'encourage à faire des choses que je n'aurais pas osé avant, et je ne sais pas, in fine, ma conduite devient plutôt plus dangereuse ou moins.
Pour l'écolo-culpabilité, je me dis que n'ayant pas d'enfant j'ai bien le droit aux 3.4L/(100km) que ma moto consomme.
Pour les balades en groupe, a priori ça me plaît plus qu'en solitaire, mais on perd un peu en spontanéité (il faut fixer une date, se donner rendez-vous, et sur le trajet lui-même on ne part pas un peu au pif selon quelle route peut sembler sympa), et surtout:
si je me joins à la balade organisée par d'autres, j'ai peur d'avoir du mal à suivre,
si j'organise moi-même, ça fait quand même du travail (choisir et mémoriser l'itinéraire puisque je n'utilise pas de GPS sur la moto, fixer le rendez-vous) et un certain niveau de stress qui va avec (si l'itinéraire est tout pourri, je me sentirai responsable…).
Mais bon, en ce moment, le facteur limitant en ce qui me concerne, c'est surtout la météo. J'ai fait une balade la semaine dernière, et malgré les gants chauffants et je ne sais combien d'épaisseurs sur le torse, j'ai surtout vite fait appelé ma maman « coucou, je suis en balade dans le coin, j'aimerais bien passer me réchauffer chez toi… ». Pour un aller-retour Paris-Palaiseau quand il ne pleut pas, la moto ça va, mais les balades de plaisir attendront qu'il fasse moins froid et moche (surtout qu'en plus le soleil se couche vraiment tôt, et le couvre-feu a fait avancer l'heure à laquelle la circulation est la plus pénible).
2. Le samedi 9 janvier 2021 à 12:02, par Natacha :
Merci beaucoup pour l'éclairage de mes réflexions par ton point de vue !
C'est une très bonne remarque que tu fais par rapport à la peur. En y repensant, je crois que j'ai mélangé deux choses :
La Peur dont je parle dans toutes les sections sauf la première, qui est effectivement lorsque je ne suis pas sur la moto, et qui m'affecte surtout avant de partir, et peut-être les quelques mètres après le départ, et surtout lorsqu'il s'agit de décider de partir ou de rester chez soi. Je ne sais pas si elle disparaît pour une raison ou pour une autre pendant que je conduis, ou si elle est simplement chassée du champ conscient par l'activité de conduite.
La chose qui fait que quand je conduis à moto, je n'arrive pas à relâcher mon attention et ma concentration, même si je le voulais, même si les circonstances semblent gentilles ; par opposition à la conduite en voiture, où je suis tout à fait capable, lorsque les circonstances me semblent le permettre, de partager mon attention entre la conduite et autre chose comme manger, écouter la radio ou un podcast, ou même réfléchir à d'autres trucs. Un peu comme si à moto les circonstances ne me semblent jamais le permettre, alors objectivement je ne vois pas pourquoi.
J'ai supposé que cette chose est aussi la Peur, alors que finalement, le seul élément allant dans ce sens est que cette chose apparaît lorsque la Peur disparaît, et quand elle disparaît la Peur réapparaît.
Concernant l'écolo-culpabilité, j'ai aussi ce genre de raisonnement, et aussi le fait si je me tue à moto le bilan écologique sera très probablement positif (et de façon plus générale, pour la plupart des gens le geste écologique le plus fort est de loin le suicide, et si tout le monde faisait ça demain la plupart des objectifs environnementaux serait atteints). Malheureusement tout ça reste soigneusement cantonnée au monde de la raison et ne touche pas tellement mes ressentis émotionnels. Je ne sais pas si je dois me réjouir ou me lamenter d'avoir une "conscience" si difficilement achetable.
Pour les balades en groupe, je suis d'accord avec les inconvénients que tu donnes ; et quelque part la non-spontanéité est la "feature" que je cherchais pour surmonter la Peur. Celà dit, je n'avais pas pensé au risque ne pas arriver à suivre, et sans communication vocale je ne sais pas trop comment le gérer de façon satisfaisante.
J'hésite à investir dans une sonorisation du casque, idéalement pour communiquer en groupe et entendre le GPS, mais j'ai du mal à me convaincre entre les soucis potentiels de compatibilité d'un côté, et le fait que j'arrive à utiliser visuellement le GPS (placé juste à côté du tableau de bord dans mon champ de vision) sans avoir l'impression de prendre plus de risques.
Enfin sur la météo, j'ai la chance de ne pas avoir tes problèmes de froid aux mains et mes gants chauffants suffisent, pour le torse l'HeatTech d'Uniqlo me semble presque magique tellement c'est efficace. De façon plus générale j'ai la chance (?) d'être à l'aise dans les températures relativement basses et d'agoniser tout l'été (voire fin de printemps et début d'automne) parce que trop chaud sans clim'.
En revanche la Peur est renforcée par la crainte de givre à des endroits inopinés quand il fait anticyclonique comme maintenant, et par la crainte de trombes d'eau à des moments inopinés quand il fait océanique comme la semaine prochaine.
Une partie de moi voudrait ne pas être arrêtée par ces détails météorologiques, au moins pour servir d'entraînement pour les sorties utilitaires dans ces conditions, tandis que l'autre partie me conseille d'attendre d'avoir plus d'expérience avant de s'y essayer.
Je crois qu'il me manque un critère objectif de progression pour distinguer les conditions qui sont à ma portée (i.e. pour lesquelles j'ai la compétence et il ne reste qu'à acquérir prudemment de l'expérience) de celles qui me dépassent largement.
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- Publié le 8 janvier 2021 à 7h36
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