Regret-Driven Decisions

Il y a un processus décisionnel que j'ai rencontré plusieurs fois dans ma vie, et j'ai l'impression qu'à chaque fois je l'ai réinventé. Maintenant que je l'ai reconnu, je vais essayer de le formaliser dans cet article, pour l'intégrer à mon fonctionnement normal.

Le titre de cet article est un peu pourri, et sa compréhension n'est pas utile pour la suite, mais s'il ne vous parle pas et si vous voulez vraiment le comprendre, l'encadré ci-dessous est pour vous.

Explication de titre

DÉBUT D'ENCADRÉ OPTIONNEL

Il y a eu un mouvement en informatique appelé Test-Driven Development, abrégé en TDD, qui semble être habituellement traduit par « développement (logiciel) piloté par les tests », qui inverse la logique habituelle de développement : au lieu de produire le programme voulu et accessoirement ensuite le tester, on commence par construire des tests, et le programme voulu est ajouté ensuite comme si ce n'était qu'un auxiliaire pour obtenir un résultat positif aux tests.

Il y a eu ensuite d'autres mouvements dérivés, je crois d'abord Behavior-Driven Development (« piloté par le comportement ») et ensuite moult autres X-Driven Development plus ou moins sarcastiques.

J'ai ici remplacé le D de Development par Decisions, parce qu'il est question de processus décisionnel, et j'ai mis en avant le point principal de ce processus, le regret, dans le titre.

Donc le titre pourrait être « Prise de décision pilotée par le regret » en ajoutant la connotation informatique du fait que c'est un retournement du processus traditionnel.

FIN D'ENCADRÉ OPTIONNEL

Les décisions faciles

Les gens qui me connaissent vous diront sans doute à quel point je ne sais pas prendre de décision, et que ç'en est pénible.

C'est un peu injuste, parce qu'en vrai je prends des centaines, peut-être des milliers, de décisions chaque jour, de façon complètement fluide et normale.

Certes, ces décisions sont toutes faciles, tellement évidentes que personne n'y voit vraiment décision. Par exemple aller aux toilettes plutôt que se retenir indéfiniment, respecter la loi plutôt qu'être sanctionné, travailler sur une tâche donnée par mon employeur plutôt que d'en inventer une autre, etc.

Donc dans la majorité des cas, il y a une alternative tellement supérieure aux autres que la décision est facile, et d'aucuns diraient que « la question ne se pose pas. »

Un peu comme le cancer, qui suivant une certaine définition biologique est quelque chose d'assez courant, mais qui guérit spontanément avant d'être détectable ; et ce ne sont que les très rares cas qui dégénèrent colossalement qui sont diagnostiqués et qui lui donnent sa dimension dramatique.

L'indifférence

Lorsqu'une possibilité d'un choix est évidemment meilleure que les autres, la décision est facile. Inversement, les décisions difficiles le sont parce qu'aucune possibilité est nettement meilleure que les autres.

Le cas que je vis le plus souvent est lorsque toutes les possibilités me sont équivalentes. Par exemple le menu d'un repas, ou la couleur d'un objet que j'utilise.

Je reconnais avoir beaucoup de mal à choisir dans ces cas-là, mais ce n'est pas le sujet de cet article.

En effet, comme toutes les possibilités se valent pour moi, peu importe le mécanisme de sélection, ça tombera toujours sur une possibilité qui me plaît le plus (ex æquo avec les autres).

Au cours de ma vie, ces décisions se sont presque toujours posées quand je faisais partie d'un groupe, et dans ces cas ma disposition habituelle est de laisser les autres choisir, pour respecter leurs éventuelles préférences.

Et c'est lorsque le groupe me demande à moi de choisir, par exemple en professant la même indifférence, que je suis prise au dépourvu.

Lorsqu'il n'y a que moi qui suis concernée, je choisis au hasard, mais j'ai du mal à imposer un choix aléatoire aux autres, surtout quand j'ai du mal à croire à leur indifférence affichée.

Il y a certes des gens qui arrivent très facilement à choisir entre des possibilités équivalentes pour eux, plus ou moins au hasard ou instinctivement, mais je n'y arrive pas du tout, il me faut de l'aléatoire extérieur, ce qui demande une énumération claire des possibilités, et c'est là où il faut déployer des efforts démesurés par rapport à l'enjeu du choix.

Les choix vraiment difficiles

Dans les rares cas où le choix n'est ni facile ni indifférent, les choses se corsent vraiment.

Il s'agit des choix aucune possibilité n'est meilleure que les autres, mais sans être équivalentes.

C'est-à-dire lorsque les possibilités ne sont pas comparables, mais sont des compromis différents, avec chacune ses avantages et ses inconvénients.

Ce serait plus facile si on pouvait avoir le beurre et l'argent du beurre, mais il faut se décider entre la cuisine allégée et l'absence de réserves financières.

C'est le genre de choix que je tourne, retourne, et re-retourne dans ma tête, sans arriver à trancher.

Souvent, ces choix reviennent à faire un pari sur le futur, parce que les inconvénients sont généralement, au moins d'un côté, sous forme de risque.

Si je sais à l'avance que je ne vais pas avoir besoin de l'argent du beurre, parce que j'aurais dans un futur proche une autre entrée d'argent, ou simplement parce que je n'aurai pas de sortie d'argent qui dépasse le fond de casse actuel, je peux sans hésitation choisir le beurre. Ou si je sais à l'avance que je ne vais pas avoir assez d'occasions pour utiliser mon beurre avant qu'il ne rancisse, je peux sans hésitation choisir l'argent du beurre. Mais avec les incertitudes typiques de notre réalité, il faut choisir de prendre un risque sans savoir s'il va s'avérer ou non.

Le paramètre du regret

J'ai remarqué quand je tourne et retourne l'argumentaire dans ma tête, je compare des situations statiques. Par exemple, j'essaye d'imaginer quelle sera ma vie si j'ai du beurre mais pas d'argent, et quelle sera ma vie si j'ai de l'argent mais pas de beurre.

Et dans ces évaluations, j'oublie systématiquement que cette vie ne sera pas juste une situation ponctuelle, mais elle sera toujours la conséquence d'avoir fait le choix correspondant. Et potentiellement le regretter. Ce regret pourrait être un élément négatif dans ma vie, qui pourrait faciliter la comparaison entre les différentes possibilités.

Par exemple, garder le beurre, ce n'est pas juste le plaisir du palais et le risque d'être fort dépourvue en cas de dépense imprévue, c'est aussi le stress à chaque repas de se dire que ce beurre a le goût de ruine potentielle.

Ou inversement, opter pour l'argent, c'est se demander perpétuellement si beurre n'avait pas un goût sublime qui aurait complètement valu le risque de ruine.

Ce dernier exemple est un peu bancal, parce que ça marche mal avec le beurre, mais la question lancinante du « et si… ? » est un paramètre que j'oublie souvent de prendre en compte avant d'arriver assez tard dans le processus hésitationnel.

Un exemple concret

Je vous ai raconté dans un billet de weblog mon choix de passer le permis moto, alors que je n'avais aucune idée de si ça me plairait ou non. J'y avais écrit :

[…] je suis séduite par ce que je m'imagine être faire de la moto, depuis assez longtemps pour être sûre que ça ne va pas passer tout seul avec le temps, et en dehors du temps le meilleur moyen pour se débarrasser de ce genre d'idées est de l'essayer.

Tant que j'essayais d'évaluer mon futur avec ou sans leçons de moto, et avec ou sans le plaisir de la moto, j'étais coincée parce qu'il fallait décider suivant une grandeur complètement inconnue.

Il y avait une symétrique presque parfaite aussi bien du côté positif, investir dans un permis qui me plaît ou ne pas essayer une activité qui ne me plairait pas, que du côté négatif, investir dans le permis pour découvrir que ça ne me plait pas ou passer à côté d'une activité passionnante.

En ajoutant les conséquences du choix, le côté positif ne change pas tellement, mais le côté négatif devient être taraudée éternellement par la question « et si en fait j'adorais la moto ? » ou dépenser une somme d'argent qui ne me manquera pas pour être libérée de cette question.

Présenté comme ça, le choix est beaucoup plus facile, il n'a presque plus besoin de charger encore la barque avec le fait d'apprendre une nouvelle chose, qui est toujours bon à prendre, surtout hors de ma zone de confort, ou avec la possibilité d'en tirer une compétence transposable à la conduite automobile.

J'ai pu récemment faire l'expérience d'un choix similaire, entre tenter quelque chose ou non, et au lieu de passer des mois à tergiverser j'ai perçu assez rapidement je suis en paix avec la perspective de perdre tout ce que j'ai investi dedans si ça rate, parce qu'au moins j'aurai essayé, alors que le « et si je l'avais quand même fait ? » m'aurait probablement hanté longtemps si j'avais renoncé.

C'était tellement libérateur qu'il m'a donné envie d'écrire cet article pour ne pas l'oublier.

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  • Publié le 17 août 2021 à 12h56
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