Une fontaine en Hadès

Je marche lentement dans ce paysage gris et désertique. Un vent d'est charrie le sable fin et gris, comme de la cendre.

Depuis un moment déjà je me dirige vers cette espèce d'édifice de pierre. Je ne sais pas trop ce que c'est, mais c'est beaucoup trop régulier pour ne pas être quelque chose de construit. Je commence à discerner quelques détails. On dirait une fontaine.

J'en suis maintenant tout proche. C'est bien une fontaine, mais il y a quelque chose qui cloche…

J'ai soif.

J'arrive devant le bassin. L'eau est noire. Noire et insalubre.

Mais j'ai tellement soif. Ça fait depuis longtemps que mes réserves d'eau sont épuisées. Je ne tiens plus. Je vais encore avoir une bonne colique, mais il faut que je boive.

Cette eau a en plus un goût vraiment immonde. Peu importe, j'ai vraiment trop soif. J'en bois encore. Je ne vais pas jusqu'à remplir mon outre, de peur de la souiller durablement.

Je ne me sens pas très bien. Cette eau est pire que je croyais. Les nausées deviennent de plus en plus fortes. Je titube jusqu'à un arbre mort pas loin. Je m'allonge en espérant que ça passe.

Ça ne veut pas passer. Je me mets à genoux, et je commence à vomir.

Un croassement déchire l'air. Je ne suis même pas en état de sortir un couteau. Entre deux vomissements je lève la tête vers la source de ce cri. Il y a un corbeau tout en haut de l'arbre, sur une branche.

Il croasse encore. Il n'y a pas d'aggressivité dans ce son. Ça faisait longtemps. D'habitude tous les bruits sont synonymes d'une forme de danger ou d'une autre, que ce soit les éléments naturels sur le point de se déchaîner, ou les cris de bêtes ou de monstres qui ne voient en moi qu'un repas ambulant.

Finalement ce croassement est doux à mes oreilles. Ce n'est pas un son amical, mais j'ai tellement perdu l'habitude des sons qui ne sont pas hostiles…

Croasse, crobeau, croasse, toi qui fais partie de ces lieux. Moi je ne suis qu'un condamné à les hanter.

J'essaye d'articuler ces mots, mais ma voix sommeille depuis si longtemps qu'elle n'a pas l'air de vouloir se réveiller pour l'instant. Si ce corbeau n'est pas télépathe, il ne recevra jamais mon message. Peu importe, après tout, ce n'est qu'un corbeau.

Il y a une phrase qui me revient en boucle dans la tête depuis un moment. Une vieille phrase, qui n'a plus vraiment de sens pour moi. Une phrase avec des mots dont j'ai oublié la signification. Des mots comme aimer.

Une phrase qui est comme écrite sur le couvercle d'une espèce de boîte, rangée au fond de ma mémoire. Une boîte pleine de souvenirs. De souvenirs qui n'appartiennent pas à ce lieu.

Des souvenirs qui n'ont pas leur place ici. Pourtant je ne peux pas m'empêcher de fouiller ma mémoire à la recherche de cette boîte. Je ne veux pas la retrouver. Je veux la retrouver. Je ne sais plus.

Elle est là. Juste là. Avec de la poussière de mémoire sur le couvercle. Bien rangée dans un coin. Avec encore tous les souvenirs bien rangés dedans, comme des morceaux de papier jaunis par le temps. J'ai presque peur de les voir tomber en miettes si j'essaye de les toucher.

Non, pas tous. Ils ne sont pas tous là. Il en manque une partie. Il manque le plus important : comment est-ce que je suis parti. Pourquoi est-ce que je me suis retrouvé dans cet endroit dévasté ? Je n'ai pas mérité ça. Pourquoi ? Pourquoi ! Pourquoi…

Ou peut-être que si. Je l'ai peut-être quand même mérité. Les souvenirs de papier jauni défilent à toute vitesse. Il n'y a rien. Je peux regarder ce qu'il me reste encore et encore et encore, ça ne fera pas revenir ce qui manque.

J'ai refusé quelque chose que je n'aurais pas dû refuser ? Ou bien j'ai accepté quelque chose que je n'aurais pas dû accepter ? Qu'ai je donc fait de mal ? Quelle erreur ai-je donc commise ?

C'est pourtant facile : j'ai commis l'erreur de ressortir cette boîte. Ce n'est pas pour rien qu'elle était enfouie si profondément. Je reprends calmement tous ces souvenirs éparpillés partout, et je les remets un à un dans la boîte. Un jour peut-être ces souvenirs seront utiles, mais pas maintenant. Pas ici.

Je ne devrais pas me mettre dans ces états là. Ça ne sert à rien, je suis là parce que c'est dans ma nature d'être là, c'est tout.

Et puis ça fait peur aux corbeaux, ma seule compagnie…

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  • Publié le 28 juin 2009 à 12h57
  • Dernière modification le 19 janvier 2010 à 20h49
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