Dissociation ?

J'ai rencontré récemment plusieurs évocations indépendantes du concept en psychologie appelé « dissociation ». Comme je ne le connaissais pas du tout, je suis allée faire une randonnée sur wikipédia en anglais, en passant par Dissociation puis Depersonalization et Derealization. Comment souvent, je suis déçue par les articles homologues sur wikipédia en français (Dissociation, Dépersonnalisation et Déréalisation).

De toute façon, cet billet ne va utiliser aucune de ces références. Certes, lorsque je tombe sur un concept comme ça, je cherche dans mon passé des expériences qui pourraient s'en rapprocher. Mais depuis que j'ai entendu parler de Karl Popper, je cherche surtout comment une expérience candidate pourrait ne pas coller à la définition. En me protégeant ainsi du Biais de confirmation, je tombe une fois de plus dans l'excès inverse : l'incapacité à conclure. J'arrive aussi facilement à tirer sur la définition pour y faire rentrer ce que je vais décrire, que pour que ça n'y rentre pas du tout.

Donc au lieu d'essayer de me raccrocher à des concepts que je ne maîtrise pas, qui ne s'appliquent peut-être même pas, je vais simplement décrire mon vécu avec des mots simples.

Mon vécu

Je l'ai déjà expliqué plusieurs fois à différents endroits, notamment dans mon billet la lecture et moi : quand je suis confrontée à une histoire, quelqu'en soit le support, j'ai tendance à essayer de me projeter dedans, généralement au travers de l'un des personnages.

À peu de choses près, plus je me projette profondément dans l'histoire, plus je suis satisfaite. En ce qui concerne les fictions, c'est pratiquement mon seul critère de jugement.

J'utilise depuis un bout de temps le verbe « projeter » pour décrire ce mécanisme mental, avant ça j'utilisais l'expression « rentrer dans l'histoire ». J'ai changé parce qu'en fait souvent, je me projette dans un personnage, pour vivre l'histoire au travers de lui. Il y a bien des histoires dans lesquelles je rentre objectivement, mais la plupart c'est en se projetant dans un personnage particulier, ou parfois plusieurs personnages.

C'est comme ça que je trouve qu'Evangelion est une série que j'aime beaucoup, qui fait 22.5 épisodes. Je ne vais pas divulgâcher parce que ceux qui connaissent savent (ou retrouvent facilement) ce qu'il se passe au milieu de l'épisode 23 et comprendront, et pour les autres ce serait déraisonnablement long et peu productif d'expliquer.

Bon, tout ça c'est très bien, et j'imagine que l'on ne manquerait pas de gens pour glorifier ce « voyage au pays de l'imaginaire », même si au fond ce n'est que du divertissement, quoique littéraire.

Bizarrement, personne ne parle du retour.

Il y a toujours un moment où il faut revenir dans la réalité : on arrive à la station de destination, on est en première position de la queue, on est cherché en salle d'attente, etc.

La plupart du temps, ça ne pose pas de problème. Dans les histoires que j'aime beaucoup, c'est-à-dire celles dans lesquelles je me suis projetée profondément, il faut toujours un certain temps pour « atterrir ».

Plus je suis projetée profondément, plus je suis en manque de sommeil, et/ou moins j'ai le moral, plus ce temps est long. Parfois il peut même être très long, mais je préfère ne pas penser à ces fois.

C'est dans ces cas là que j'apprécie avoir un trajet habituel à suivre machinalement, pendant ce temps.

J'ai un peu de mal à trouver des mots pour décrire mon état à ces moments là, parce que le langage que j'ai appris ne couvre pas (ou très peu) ce champ. C'est exactement comme décrire une odeur.

Si je vivais dans une culture où l'utilisation des drogues récréatives était courante et faisable dans des conditions et un environnement sûrs, je pourrais peut-être le décrire par une analogie avec l'emprise de telle ou telle substance (par exemple, la kétamine). Comme je ferais pour décrire une odeur. Malheureusement, ce n'est pas le cas.

Ce sont ces expériences auxquelles les définitions de déréalisation m'ont fait penser (je n'ai jamais rien vécu se rapprochant de la dépersonnalisation), car je trouve effectivement qu'il manque quelque chose à ce que je perçois autour de moi, et ce manque est source d'une certaine confusion. Un quelque chose qui devrait appartenir à la réalité et qui n'appartient jamais à la fiction.

Ce serait un peu l'équivalent généralisé à tous les sens de ce que je ressentirais si je mangeais un steak qui a un goût de fromage, tout en ayant la consistance habituelle d'un steak, et après la surprise initiale passée. Cette espèce d'incrédulité, genre « y a un truc qui n'est pas comme il faut », une bouchée de plus pour vérifier que c'est bien le cas, les tentatives de décomposer l'expérience gustative pour arriver à la conclusion qui est ce que j'ai décrit comme étant la situation.

Mais d'un autre côté, je ne perds jamais conscience que les perceptions sensorielles décrivent toujours la réalité, et que ce qui vient d'ailleurs n'est pas la réalité. Donc dans ce sens là, ça ne colle pas du tout avec la plupart des définitions de la dissociation.

En fait tout le paragraphe précédent, c'est juste au niveau de la connaissance, de l'information et de son traitement. Je dirais même de façon plus générale, tout ce qui est froidement l'acquisition et le traitement de l'information fonctionne parfaitement, pendant la lecture ou après.

Par contre, le « quelque chose » qui manque à la réalité dans les moments que je décris ici, il existe sur le plan émotionnel. Je sais que la réalité est là, mais je m'en fous. Le monde est là, mais il ne provoque plus de réaction émotionnelle chez moi.

Je ne saurais pas trop dire si cette réaction émotionnelle est remplacée par autre chose, comme le goût dans l'analogie précédente, ou si elle est seulement absente (ce qui ne fonctionnerait pas dans l'analogie, parce que l'absence de perception n'existe pas vraiment, car cette absence est traitée comme une perception).

Est-ce un problème ?

Jusqu'à récemment, non.

J'ai toujours été comme ça, je l'ai accepté comme étant une partie normale de la vie. Ça n'a pas tellement de conséquences pratiques, et je peux m'organiser pour les éviter dans les rares cas où elles seraient gênantes. Par exemple en arrêtant de lire quand c'est le tour de la personne devant moi dans une queue, ou de la personne d'avant, suivant la vitesse de la queue.

Avoir lu qu'un problème psychologique existe, qui pourrait se rapprocher de cette situation, m'a fait réfléchir sur l'universalité de cette expérience : est-ce que ça arrive à tout le monde, ou à une grande partie de la population (parmi ceux qui lisent encore des livres…), ou est-ce qu'il n'y a que moi ?

Mais quand bien même ce serait anormal, tant que ça ne dérange personne, j'ai du mal à considérer ça comme une maladie à guérir ou un problème à résoudre.

Du moins, jusqu'à il y a quelques semaines.

C'était un samedi, et mon homme et moi allions à un évènement parisien, et toutes les conditions étaient réunies : le manque de sommeil, pas trop le moral, et Altered Carbon dans le métro. Une fois descendus du métro, le livre fraîchement refermé, il fallu déterminer comment aller de la station à l'évènement, et pour ce faire il a fallu que je sorte mon plan de Paris de mon sac à main.

Le sac à main en question, c'est le Sherpani Esprit dont j'ai fait une critique il y a quelques mois, que j'utilise quotidiennement depuis.

Sept cents mètres après la station de métro, il a fallu ressortir le plan. J'étais encore dans cet état étrange, enveloppée d'un brouillard émotionnel. Et j'ai remarqué que mon sac était ouvert. Ce qui a causé une contrariété tellement forte qu'elle a percé ce brouillard.

Il m'était déjà arrivé plusieurs fois de porter ce sac à main à dos ouvert, généralement sur la quinzaine de mètres entre mon bureau et les toilettes, ce que j'ai toujours trouvé très contrariant à cause du risque que quelque chose tombe du sac, mais rien n'en était jamais tombé.

Or ce samedi là, ma trousse (contenant une variété de stylos et de clefs USB) a disparu.

Je ne saurai probablement jamais ce qui est vraiment arrivé. Ai-je oublié de fermer le sac ou a-t-il été ouvert dans mon dos ? La trousse est-elle tombée ou a-t-elle été volée ? Est-ce que mon air paumée / high m'a désignée comme cible ? Ai-je perçu une chute accidentelle de la trousse, sans y accorder d'importance à cause de cet état ? Est-ce que j'aurais raté une chute accidentelle de la trousse même sans être dans cet état ?

Les conséquences matérielles sont dérisoires : rien d'autre que la trousse ne manque à l'appel, et presque tout est facilement remplaçable (il n'y a que la trousse elle-même que je n'ai pas encore pu remplacer par quelque chose d'au moins autant à mon goût).

En revanche, le bris de ma confiance envers mon sac à main est très grave (et probablement disproportionné). Même si j'aime encore beaucoup ce sac, il a fallu le remplacer à court terme, car l'angoisse de ne pas l'avoir fermé était rapidement devenue insupportable.

Avant cet incident, il m'était peut-être arrivé une demi-douzaine de fois de vérifier qu'il est bien fermé après l'avoir mis sur le dos. J'ai probablement dépassé la centaine de fois pendant la semaine qui a suivi l'incident.

Je suis encore en train d'évaluer les remplacements à ce sac à main et à cette trousse, je posterai ici mon avis quand je serai fixée.

Et vous, avez-vous déjà vécu des moments comme ceux-ci ? En avez-vous aussi subi des conséquences désagréables ?

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  • Publié le 18 avril 2015 à 21h16
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