Entretien et réparation

Une des ruptures majeures que je retrouve régulièrement entre mes valeurs et la société de consommation qui m'entoure concerne la quantité d'efforts et de compétences dans l'entretien et la réparation des objets du quotidien.

Pour moi, il me semble naturel d'agir sur le monde autour de moi, et dans un certain sens de le soumettre à ma volonté, c'est-à-dire faire en sorte de modifier mon environnement immédiat dans un sens qui est « meilleur » suivant ma propre échelle de valeur, et à plus forte raison quand cet environnement est le produit de l'humanité. J'ai conscience des ramifications potentiellement problématiques de ce fondement idéologique, mais ce n'est ici que je vais l'explorer.

Donc quand un outil ou un appareil ne me donne pas satisfaction, il me semble naturel et normal de chercher comment agir dessus pour améliorer cette satisfaction. Ce qui peut aller de la réparation à la restauration, voire jusqu'au hacking dans le sens noble du terme.

À l'inverse, j'ai l'impression que le monde autour de moi conspire à vouloir définir la normalité comme jeter un objet qui ne donne pas satisfaction, et en acheter un autre qui donnerait plus de satisfaction. Et éventuellement sous-traiter l'entretien et les réparations obscènement mineures, comme une sorte d'abonnement.

Du coup, c'est délicieusement rafraîchissant de trouver des poches de résistance dans lesquelles j'ai l'impression que la norme largement partagée est plus proche de mes valeurs profondes que de la société de consommation que je vomis. Les poches en question sont pour la moto et le vélo.

Et ça rend d'autant plus contrariant le fait de ne pas réussir à trouver satisfaction dans ce qui devrait être une utopie idéologique pour moi.

Parce qu'autant je veux être capable de faire l'entretien et les réparations basiques sur ma moto et mon vélo (et tout le reste), autant je n'arrive pas à trouver suffisamment de confiance dans mes compétences mécaniques pour y miser ma vie (dans le cas de la moto) ou mon confort pendulaire (dans le cas du vélo).

Dans la mise en pratique, je me suis heurtée au manque de clarté de la frontière entre ce qu'il est raisonnable de faire soi-même et ce qu'il faut raisonnablement sous-traiter à un professionnel, et au manque de sources d'informations dans lesquelles j'ai confiance pour acquérir les compétences que je veux maîtriser.

Voici à peu près mon état d'esprit général dans lequel j'écris ce billet. La suite va se limiter au vélo, et décrire mes mésaventures plus ou moins récentes.

Changement de chambre à air

Le coin de la frontière que j'ai le plus exploré est le remplacement de chambre à air, surtout quand il s'agit de l'arrière, et à plus forte raison dans un vélo à courroie comme l'Eovolt City X.

À froid, ça a l'air complexe à démonter, et le nombre d'occasions d'erreurs catastrophiques au remontage me donne sérieusement envie de sous-traiter.

D'un autre côté, j'ai arrêté de compter le nombre de personnes qui ont l'air de prendre ça comme une opération de routine pour n'importe quel cycliste. Y compris des gens qui ont un intérêt financier direct à ce que je sous-traite (mais qui ont professionnellement les compétences qu'il faut pour le faire sur le bord de la route sans compétence catastrophique).

Donc je me suis fait violence, je me suis jetée à l'eau, et j'ai regretté.

Première réparation (octobre 2022)

Photos de ma première crevaison

J'ai raconté dans Le vélo et moi ma première crevaison, sur la roue arrière de l'Eovolt, en octobre 2022. J'ai réparé la chambre à air in-situ, sans rien démonter du vélo, juste en sortant le pneu de la jante pour accéder à la chambre à air, et en le remettant ensuite.

Il est probablement pertinent de préciser à ce stade que la réparation a été faite avec un kit Velox avec rustines, colle à rustines, et démonte-pneus.

Deuxième réparation (octobre 2024)

Photos de ma deuxième crevaison

Ma deuxième crevaison enregistrée à eu lieu en octobre 2024, et je trouve cet intervalle de deux ans très suspect, il faudra que je vérifie que je n'ai rien oublié. Admettons pour l'instant.

J'en profite pour saluer la robustesse des pneus Schwalbe Big Apple, livrés avec ce vélo, pour que la crevaison demande un morceau de verre aussi gros, et qu'un seul des deux morceaux de verre sur la photo n'arrive jusqu'à la chambre à air.

J'ai appliqué le même traitement à mon Vektron, parce qu'un dérailleur ce n'est pas tellement moins impressionnant qu'une transmission à courroie.

J'avais acheté entretemps une boîte de rustines autocollantes Muc-Off, et je n'ai manifestement pas réussi à boucher le trou avec, et je n'ai jamais réussi à les faire coller. J'en ai eu tellement marre que j'ai ressorti le kit Velox, et la colle à rustine entamée deux ans plus tôt s'est révélée plus efficace que ces rustines autocollantes.

Cette réparation n'était pas super-satisfaisante, avec une fuite de l'ordre de 0.3 bar/j, soit dix fois plus que la perte de pression considérée comme normale (de l'ordre d'un bar par mois, à ce qu'on m'a dit).

Au bout d'un mois j'ai fini par tenter l'ajout d'étanchéifiant dans la chambre à air, et ça a été efficace pendant au moins quatre mois.

Troisième réparation (avril 2025)

Ma troisième crevaison enregistrée a eu lieu six mois après la précédente, et il me semble que deux crevaisons par an est un rythme considéré comme normal par beaucoup de gens avec qui j'en ai parlé depuis que je fais des trajets pendulaires à vélo.

Cette fois c'était la roue avant, et un clou au lieu d'un morceau de verre.

J'ai fait comme d'habitude : pousser le vélo sur quelques kilomètres, et démonter le pneu pour colles des rustines in-situ.

Contrairement à d'habitude, je me suis retrouvée avec trois rangées de trous sur plus de dix centimètres de long, probablement avec le pneu qui glisse par rapport à la jante et à la chambre à air (couplée à la jante par sa valve). Je ne sais pas expliquer les trois rangées de trous ; le clou qui troue de part en part n'en explique que deux. Peut-être la jante ?

J'aurais probablement dû retirer le clou avant de pousser le vélo sur plusieurs kilomètres.

Ou écouter tous les gens qui disaient de changer la chambre à air sans se poser de question.

J'ai quand même essayé d'empiler les rustines autocollantes Muc-Off, et j'ai aussi fini mon stock de rustines à colle, et je n'avais toujours pas tout couvert.

Comme c'est la roue avant, c'est la version facile du démontage, alors j'ai pris mon courage à deux mains et une chambre à air neuve dans l'autre.

Et ça m'a explosé à la figure. Littéralement. Peu après avoir passé 2 bars, au moment de regonfler après avoir tout remonté.

chambre à air explosée

Il paraît que les dégâts sont typiques d'une chambre à air pincée, mais j'avais pré-gonflé la chambre à air (autour de 0.4 bars) avant de remonter le pneu, donc je ne sais pas trop ce qui a pu se passer.

La chambre à air suivante était la bonne, et j'ai pu remonter la roue, et tout s'est bien fini ensuite.

En dehors du fait que le gonflage de cette chambre à air est un peu étrange, encore aujourd'hui : dans la dizaine de secondes qui suit un pompage, il y a 0.3 à 0.5 bar qui partent mystérieusement. J'ajuste la consigne en conséquence, et ça se finira à la pression que je veux.

Quatrième réparation (mai 2025)

Comme dit plus haut, l'effet de l'étanchéifiant dans la roue arrière a commencé à s'estomper dans les quelques mois qui précédaient, et après la réussite pour la roue avant, j'ai décidé de tenter le remplacement de la chambre à air arrière.

J'ai peut-être un peu trop pris la confiance, j'ai probablement sous-estimé la complexité d'un dérailleur, mais j'ai eu l'impression de réussir à m'en sortir.

J'ai été un peu surprise du peu de tension dans l'écrou de l'axe, mais j'ai le nécessaire pour que le disque du frein ne touche aucune des deux plaquettes, donc j'ai supposé que c'était bon.

Dans les trajets suivants, j'ai tout de suite remarqué que les vitesses passaient beaucoup moins bien. J'ai supposé simplement que j'avais simplement déréglé le dérailleur.

Et puis j'ai déraillé pour la première fois, vers l'intérieur. Il m'a fallu vingt minutes pour remettre le plateau, et j'ai soigneusement évité la première vitesse (de peur de passer la zéroïème), mais j'ai pu repartir.

Et puis quelques trajets plus tard, 50 km après le remplacement de la chambre à air arrière, j'ai senti le frein arrière tout mou. Je me souviens plus exactement comment j'ai fini par comprendre le problème, mais le disque était sorti de l'étrier, parce qu'un côté de l'axe de la roue était sorti de sa place.

J'ai remis la roue comme j'ai pu, et je suis allée voir le mécanicien pour lui demander de faire le tour. Il n'a rien trouvé à redire, à part que mes plaquettes de frein sont à changer de toute urgence.

J'ai le vague souvenir que quand des plaquettes se touchent, elles se collent définitivement, et je me demande si ce n'est pas ça plutôt que l'usure qui les a achevées.

L'entretien

Suite à ces conséquences qui ont battu mes records de catastrophisme dans ma vie de cycliste, j'ai pris rendez-vous au plus tôt pour que des professionnels fassent le tour complet du vélo, même si j'avais plusieurs mois d'avance sur l'entretien annuel.

Et pour faire ça au plus tôt, j'ai pris rendez-vous chez un mécanicien près du boulot plutôt que près de chez moi.

C'était fort intéressant, mais ses remarques me laissent avec plus de questions que de réponses.

La lubrification

Il paraît que ma chaîne et ma cassette étaient très usées, et à la limite de la rupture.

Mais en même temps il me disait que 3640 km avec la transmission d'origine, c'est très bien, surtout avec un « gros » moteur (Bosch performance) et qu'il a vu des vélos avec une transmission à changer après 1800 km.

J'avoue que j'ai complètement négligé la lubrification de la chaîne, mais j'imagine que les techniciens s'en sont occupés à chaque révision.

D'un autre côté, il semblait dire que la façon de rouler joue aussi, et que mon habitude de démarrer sur la vitesse la plus facile aide à prolonger la vie de la transmission.

Résultat, je ne sais pas du tout où j'en suis, sur ce résultat ; mais surtout, je n'arrive pas du tout à savoir quelles « bonnes pratiques » sont vraiment pertinentes.

Ça va trop me saouler de dégraisser et relubrifier la chaîne tous les week-ends, donc il va falloir trouver un protocole pas trop chiant, pour que j'arrive à me motiver pour le faire, mais suffisamment efficace dans ce cadre.

Je suis d'autant plus perplexe que je suis à peu près sûre de ne jamais avoir senti la transmission aussi peu résistante qu'en sortant de cette révision. Y compris tous les passages précédents à l'atelier. Y compris dès l'achat, pour autant que je me souvienne.

J'ai fait de mon mieux pour mémoriser les impressions physiques depuis, pour avoir au moins un élément d'évaluation du niveau de lubrification.

Le nettoyage

Il a fait un nettoyage complet de mon vélo.

Pourquoi pas hein, c'est gentil. Et puis ça au moins c'est un truc à ma portée.

Mais est-ce que ça sert vraiment à quelque chose ?

Est-ce que c'est utile de risquer une catastrophe comme mon seul démontage de roue arrière, juste pour retirer la boue accumulée dans le garde-boue ?

Est-ce qu'il y a une conséquence, en dehors de l'esthétique, au transport de toute cette boue et toute cette poussière collées ?

Le reste

Il a remarqué que l'axe de la roue arrière était monté à l'envers.

Effectivement, si on vérifie sur la page de Tern, on peut voir sur les photos officielles que le quick release est à gauche sur la roue avant, mais à droite sur la roue arrière.

Donc a priori, celui qui m'a installé les axes antivols n'y a pas fait attention, et a posé les deux vers la gauche.

Je n'ai aucune idée des conséquences que ça peut avoir, mais ce ne serait pas invraisemblable que ça ait contribué à ma catastrophe de roue arrière.

Mais à un niveau meta au-dessus, j'ai l'impression qu'il y aurait des choses à conclure du fait qu'il ait vu ce détail, qui a été raté à la première livraison et aux révisions suivantes.

D'un autre côté, c'est peut-être dangereux d'en déduire quelque chose sur le niveau général de compétence de ce mécanicien.

Dans le même genre, il a resserré la charnière centrale, et de façon beaucoup plus forte qu'elle n'a jamais été sur ce vélo, au point que j'ai du mal à la manipuler. Mais si l'alternative est une défaillance de cette charnière, je préfère largement en baver un peu plus à chaque pliage et dépliage.

Et cette fois encore, je me demande si c'est une compétence rare dont j'ai eu la chance de bénéficier, ou juste du show. C'est une modification spectaculaire et marquante, pour faire face à une menace informe, et qui peut prévisiblement construire une illusion de compétence.

Bref, c'est exactement le genre de lubrifiant social qu'il faudrait pour faire passer une facture gonflée (si tant est que 214 € pour une révision de vélo soit gonflé) tout en se faisant bien voir.

Comment distinguer le vrai artisanat de qualité du commerçant qui roule des mécaniques ?

Conclusion

J'ai détaillé tout ça d'une part pour documenter ma vie, parce que j'ai déjà perdu des détails que j'aurais bien aimé garder, pour que moi‐du‐futur puisse s'en servir, et d'autre part parce que c'est une illustration représentative de ma relation avec beaucoup d'autres objets.

Pour compter sur mon vélo pour faire des trajets pendulaires, j'ai besoin d'avoir l'impression de pouvoir compter dessus, ce qui veut dire entre autres être capable de gérer une crevaison à plusieurs kilomètres de chez moi et de mon bureau. Même si j'ai une réunion importante ce matin-là.

Pour accepter qu'un objet ait une place importante dans ma vie, j'ai besoin d'avoir l'impression de pouvoir gérer d'une façon ou d'une autre les défaillances vraisemblables, et de pouvoir maintenir cet objet en conditions opérationnelles.

Les compétences de maintien en conditions opérationnelles servent non seulement directement, pour le faire, et aussi indirectement, pour avoir un regard critiques sur le travail et les conseils des professionnels dont je dépends pour ce qui va au-delà de l'entretien de base. Et surtout pour savoir où est la frontière entre ce que je peux faire et ce qu'il faut laisser aux professionnels.

Suis-je ou non censée être capable de :

Et surtout, comment suis-je censée trouver la réponse à ces questions et à toutes les innombrables variations ? Comment acquérir les compétences que je juge être censée avoir ?

Quand j'étais plus jeune, j'aurais fait confiance à mes recherches sur grand 'ternet pour y répondre.

Déjà avant la généralisation du slop, le SEO m'a fait perdre cette confiance. Dès que mes recherches m'amènent vers des pages dont le contenu pourrait avoir le moindre impact commercial, je commence à tout remettre en question. Le slop a généralisé ce scepticisme stérile aux pages dont le contenu pourrait avoir le moindre impact idéologique.

Et maintenant, je suis forcé de constater que ce scepticisme stérile n'est même plus limité aux pages internet. Quand j'ai un authentique mécanicien en chair et en os en face moi, je me demande s'il donne des conseils utiles ou s'il essaye de faire passer une facture gonflée.

Je ne sais plus rien faire, le Doute a tout mangé.

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