Séparation de claviers
Comme je l'avais écrit dans le billet Filler, j'essaye depuis quelques mois de nouveaux claviers. C'est en train de s'embourber, et j'accumule beaucoup trop de choses à en dire, donc je vais commencer par décrire dans ce billet d'où je viens et pourquoi j'ai envisagé un changement.
La disposition QWERTY
Historique
Je ne sais plus si je l'ai déjà écrit quelque part, alors je vais le mettre ici aussi en espérant me souvenir que c'est là si je veux le référencer un jour.
En bonne petite française de France, j'ai commencé à taper sur des claviers AZERTY, sans me poser plus de question que ça.
Les choses ont basculé en 2007 ou en 2008, quand j'ai malencontreusement renversé un liquide sur le clavier intégré à Duat, et que j'ai constaté qu'un clavier de remplacement AZERTY (ISO) était trois fois plus cher qu'un clavier QWERTY (ANSI).
Il n'y a donc pas que l'affectation des touches qui change, mais aussi la forme de la touche Entrée (deux lignes en ISO contre une seule en ANSI) et du shift gauche (plus court que Tab en ISO, avec une touche supplémentaire).
Ces différences m'ont beaucoup plus gênée que l'affectation des touches,
parce que la mémoire musculaire qui vise le milieu de la touche Entrée ISO
fait appuyer sur la touche Entrée ANSI et la touche juste au-dessus,
et parce que l'AZERTY sur un clavier ANSI ne permet pas d'entrer les
symboles <
et >
, qui ont quand même une certaine utilité.
Je ne me souviens plus exactement ce qui m'a fait préférer le QWERTY, alors que je ne regardais plus ce qui était imprimé sur les touches depuis longtemps.
Probablement une combinaison du manque des symboles <
et >
et du
confort incroyable pour entrer des chiffres et les symboles [
, ]
, {
,
et }
, qui sont courants dans les langages de programmation.
En tout cas, l'inconvénient d'utiliser une touche Compose pour entrer les lettres accentuées m'a paru suffisamment mineur pour l'accepter volontiers.
Je n'ai aucun souvenir de pourquoi je n'ai pas opté pour le QWERTY US international, je ne sais plus si je l'ai considéré et rejeté ou si je n'étais même pas au courant de son existence.
La touche Compose m'a ouvert ensuite la possibilité d'entrer tout un tas de
caractères fort opportuns, comme les guillemets «
et »
, l'espace
insécable
, les tirets, les chiffres indicés et exposants, les flèches,
etc.
Depuis cette époque j'ai donc utilisé une disposition QWERTY US standard, avec la touche Compose placée sur CapsLock, sans aucun regret.
Échec de panachage
Je n'ai jamais vraiment vécu dans un environnement où l'utilisation d'une disposition de touches alternative à l'AZERTY soit valorisée socialement. Je sais qu'il y a des cercles qui valorisent que le QWERTY, notamment l'école 42 (au moins à une époque), et j'imagine qu'il y a des cercles très sensibilisés à l'ergonomie, mais je ne les ai jamais connus personnellement.
Je ne cherche pas à me distinguer, et il n'y a aucune raison interne ni externe pour que je veille revendiquer mon utilisation du QWERTY au lieu de l'AZERTY.
Tout ça pour dire que j'ai essayé un certain nombre de fois de faire cohabiter le QWERTY et l'AZERTY dans ma tête, ne serait-ce que pour pouvoir utiliser confortablement un ordinateur partagé ou fournit par un client sans être obligée de devoir revoir la configuration.
Ça n'a pas marché.
Il paraît qu'il y a des gens qui arrivent à passer mentalement d'AZERTY à QWERTY, et peut-être d'ANSI à ISO ; j'ai rencontré dans ma vie plusieurs personnes qui prétendaient en être capable.
Ce n'est pas mon cas.
À chaque fois que j'ai essayé de basculer, pendant au moins cinq à dix minutes mes doigts hésitent entre les deux configurations, et ensuite des erreurs persistaient encore plusieurs heures, voire quelques jours.
Donc si c'est juste pour passer deux minutes sur un autre poste, c'est un coût prohibitif par rapport au changement de configuration.
Je me demande parfois si ça pourrait être une question d'entraînement, et si en m'acharnant à passer de l'un autre l'autre je ne pourrais pas arriver à avoir moi aussi ce switch mental.
Je n'ai jamais eu le courage d'essayer.
Les switchs Topre et les touches en PBT
Comme je l'avais écrit il y a un peu plus de onze ans, dans mon billet à propos de mon clavier RealForce, jusqu'en 2014 j'utilisais des claviers quelconques à pas cher.
Il y a des rares moments dans la vie où une nouvelle expérience bouscule une échelle d'évaluation d'une catégorie d'objets, parce que cette nouvelle expérience est tellement au-delà de tout ce qui pouvait être imaginé avant de la vivre.
Popov (de #gcu) qui me fait essayer son clavier RealForce a été un de ces moments pour moi.
J'avais conscience de l'existence des claviers mécaniques, mais aucun des essais que j'ai faits ne m'avaient convaincue. Je sentais la différence entre un clavier pas cher et un clavier de qualité, mais pas au point de m'en rendre compte quand je pense à autre chose (par exemple à ce que je suis en train d'écrire).
Je ne sais toujours pas s'il y a quelque chose de spécial dans l'interaction entre les switchs Topre et les touches en PBT, ou si c'est seulement l'accumulation des deux, mais cette expérience m'a fait changer tous mes claviers et détester tous les autres claviers.
Au fil des années, la magie de cette expérience tactile s'est émoussée, et ça fait depuis longtemps que j'arrive à supporter l'utilisation de claviers quelconques ; je continue de ressentir la supériorité tactile de ces claviers mais ce n'est plus transcendamment au-dessus des autres.
Cela dit, encore aujourd'hui, je tape ces lignes sur le même clavier RealForce que celui du billet (qu'on peut voir dans le fond de deux entrées de mon photoblog), et j'ai sur mon bureau de travail le HHKB pro qu'on voyait déjà dans mon inventaire en 2018. C'est dire à quel point ces claviers sont robustes.
Les non-sujets
Au fil des décennies, j'ai été confrontée à deux arguments majeurs pour changer de disposition et/ou d'affectation des touches :
- la vitesse de frappe,
- les troubles musculo‐squelettiques, que j'ai tendance à abréger par RSI.
Vitesse de frappe
Je n'ai que faire de la vitesse de frappe parce que je ne suis jamais sentie limitée à ce niveau. Je n'ai pas d'emploi de secrétaire, je n'ai pratiquement jamais eu besoin de faire de transcription (et les rares fois où j'ai essayé, ma vitesse de frappe spontanée s'est révélée suffisante), et l'écrasante majorité des choses que je tape sont inventées extemporanément, et c'est la vitesse de mon cerveau qui est le facteur limitant.
À quoi bon être capable de taper 200 mots par minutes quand on n'en conçoit pas plus de quelques dizaines ?
Il me semble quand même intéressant de préciser que c'est un peu facile de se croire détachée de la vitesse de frappe quand on n'en manque pas, et les évènements récents dont je parlerai dans un futur billet me l'ont violemment appris.
Pour mettre des nombres sur tout ça, ces jours-ci je tape typiquement sur 8 touches par seconde, avec une précision de l'ordre de 96 à 98 %. Voici un exemple représentatif sur MonkeyType :
J'ai évidemment beaucoup moins que ça en texte libre, aussi bien en vitesse qu'en précision. Comme dit, c'est le cerveau qui limite la vitesse, donc ce n'est pas une surprise, mais j'ai l'impression d'utiliser Backspace beaucoup plus souvent qu'une fois sur trente. D'un autre côté ce n'est peut-être qu'une impression, puisque j'ai compté sur ce paragraphe entier, et je n'ai effacé que six caractères, en trois groupes, alors que ce paragraphe en compte 461.
À titre de comparaison, le premier jet de cet article (sans ce paragraphe) contenait 17 139 caractères, qui ont été entrés en 14 482 secondes (conception, recherches, et corrections comprises), soit environ 1.2 caractère par seconde en moyenne. Avant de mesurer, je m'attendais à une différence beaucoup plus grande entre ces deux vitesses.
Troubles musculo‐squelettiques
Le risque de RSI est quelque chose qui me touche beaucoup plus, mais ça fait (beaucoup) plus de vingt ans qu'une écrasante majorité de mes heures éveillées sont passées devant un clavier, et je n'en vois toujours pas le moindre signe.
J'ai tendance à penser que ma façon de taper, acquise de façon complètement spontanée et non-académique, me protège du risque de RSI, peut-être au détriment de la vitesse (dont je n'ai que faire).
Mes poignets sont toujours dans le prolongement de mes avant-bras, et ce sont les avant-bras entiers qui bougent pour que mes doigts puissent atteindre les différentes parties du clavier. J'ai un point de contact entre le bureau et la base de l'avant-bras près du coude, et ça fait office de pivot pour déplacer mes mains suivant des arcs de cercle.
Avec mes mains au repos, j'ai le majeur droit qui va de la touche V à la
touche Pause (au-dessus des flèches), et le majeur gauche qui va la
touche N à la touche tout en haut à gauche du bloc principal (`
en
QWERTY ou ²
en AZERTY).
Je suis très attentive à l'état de mon corps, et si j'avais ressenti la moindre gêne ou douleur quelque part dans mon poignet ou dans mes doigts, j'aurais remis en question tous ces choix de vie.
Et plus les années d'utilisation intensive de clavier passent, plus j'arrive facilement à croire que je suis protégée, pour une raison ou pour un autre.
Les vents du changement
Si la situation est aussi rose que ce que j'ai décrit ci-dessus, pourquoi changer ?
Je ne sais pas trop, et ça fait partie des choses qui me contrarient un peu.
Razer Tartarus
Je soupçonne que cette histoire commence avec mon acquisition d'un Razer Tartarus, en automne 2022, pour jouer à World of Warcraft.
J'ai plusieurs camarades de guilde qui conseillent à qui veut les entendre d'utiliser un « pad » de ce genre. Ils ont des appareils Logitech, qui ne sont plus produits, et au moment où je m'y suis mise il ne restait plus que Razer sur ce marché.
J'ai longtemps résisté, parce que je ne voyais pas ce que ça pouvait apporter de plus que mon clavier préféré.
Je ne me souviens plus exactement ce qui m'a fait craquer, mais le fait ce soit un appareil d'occasion pas trop cher a joué.
Et ça a été un autre de ces moments dans ma vie où je découvre une expérience que je ne pouvais pas imaginer avant de la vivre.
Concrètement, ce qui fait toute la différence, c'est d'avoir les flèches sur le pouce, alors qu'un clavier normal ne propose que la barre Espace et les modificateurs. C'est facile à décrire comme ça, ça donne accès à une quinzaine de touches de sorts en parallèle des flèches, mais l'impact sur la forme du jeu résiste à la mise en mots.
Résultat, j'avais l'air maligne, à dépendre à ce point d'un objet à la durée de vie incertaine et qui est sur un segment de marché en train de péricliter.
J'aurais pu juste en acheter un deuxième et le garder en réserve au cas où, mais ça me semblait plutôt cher pour ce que c'est. Et puis je me demandais si je ne pourrais pas trouver une alternative à la fois plus durable et utilisable au-delà de seulement World of Warcraft.
C'est comme ça que j'ai commencé à regarder en détail ce qu'il existe du côté des claviers scindés, dans l'espoir de trouver un périphérique d'entrée généraliste qui permette de jouer avec les déplacements sur le pouce gauche.
Les résultats sont super décevant : ça n'a même pas l'air d'exister. Il y a toute une variété de formes de groupes de touches à mettre sous le pouce, il y a même des touchpads et des trackballs, mais je n'ai pas trouvé la moindre croix directionnelle.
Ergo-L
Je n'ai plus aucun souvenir de comment j'ai découvert Ergo-L, ni de comment je me suis retrouvée à avoir envie d'y passer.
La découverte est probablement sur un stand de Capitole du
Libre 2023, ou dans les flux agrégés sur #gcufeed
.
Je me souviens que j'y ai vu plusieurs personnes qui partagent leurs
dispositifs ergonomiques, et le journal du hacker a partagé en
novembre 2024 les principes d'optimisation derrière Ergo-L
(mais je ne sais pas du tout si je l'ai lu à l'époque).
L'expérience du passage d'AZERTY à QWERTY a exclu immédiatement l'idée d'utiliser Ergo-L sur un clavier ANSI ou ISO, mais si je passais à un clavier scindé (par exemple parce que j'en trouverais un avec un pavé directionnel au pouce), j'aurais toute ma mémoire musculaire qui serait purgée, et je pourrais en profiter pour utiliser une nouvelle disposition des touches.
Encore maintenant, je ne suis pas trop sûre de ce qu'Ergo-L apporte sur mon QWERTY habituel. Le plus évident est touche magique qui permet d'avoir les lettres accentuées en deux frappes, alors que ma solution à base de Compose en demande trois, mais c'est un peu léger. J'ai plusieurs fois regretté que mes séquences Compose ne contiennent aucune façon d'obtenir les lettres grecques, mais en vrai ça ne me manque pas si souvent que ça.
Ou c'est peut-être juste la façon la plus directe d'avoir toute la ponctuation que je veux dans les dix colonnes des claviers scindés minimalistes que j'ai choisis.
La vitesse d'entrée
C'est encore un autre élément dont je n'arrive pas à retracer le chemin dans mes pensées, mais il y a eu une certaine remise en question de l'idée selon laquelle je n'ai rien à gagner à être capable d'entrer du texte plus rapidement avec un clavier.
Encore maintenant, ce n'est pas plus qu'une remise en question, je n'ai pas encore de réponse.
Je ne serais pas surprise que cette remise en question vienne de la lecture de Dan Luu sur la productivité et la vélocité, parce qu'il attaque précisément l'idée que j'avais avant de découvrir l'article, et je suis plutôt d'accord avec ses arguments, au moins qualitativement.
D'un autre côté, quantitativement sur cette question en particulier, je ne suis pas sûre du tout qu'il y ait le moindre « retour sur investissement » dans ma vie si je pouvais entrer du texte plus rapidement, et je ne suis pas sûre du tout non plus de pouvoir sensiblement améliorer la vitesse d'entrée en changeant de clavier ou de disposition des touches.
D'ailleurs je ne sais pas si ça vient de Dan Luu, mais j'avais conscience de l'importance de la nuance entre vitesse de frappe et vitesse d'entrée. Je ne suis pas sûre de pouvoir gagner beaucoup de vitesse sur les mouvements physiques ; je n'avais pas encore mesuré les 8 touches par seconde, mais ça me semblait déjà honorable. J'avais l'impression d'avoir beaucoup plus à gagner sur la précision, pour réduire mon utilisation de la touche Backspace et rapprocher mon nombre de caractères par seconde de mon nombre de touches par seconde (encore une fois, avant d'avoir fait la moindre mesure).
Et tout ça est encore plus brouillé par le fait qu'au moment d'écrire ces lignes j'ai déjà évolué sur cette question, mais ce billet essaye de reconstruire mon état d'esprit juste avant d'acheter mon premier clavier scindé ; les enseignements de l'utilisation de ce clavier sont pour le prochain billet.
L'étincelle
Tout ce que j'ai décrit jusque-là ne fait que construire un climat d'instabilité, il en faut plus que ça pour franchir le pas. Comme avec la tentation cycliste, je ne cède pas à la légère.
Une contribution majeure a été la série Halcyon de splitkb.com, qui cumule les avantages de venir de l'espace Schengen (à une époque où les incertitudes sur le commerce international sont prégnantes), d'offrir plus de flexibilité que les claviers industriels (comme ZSA ou Dygma), sans pour autant obliger à sortir le fer à souder (l'assemblage en lui-même c'est juste chiant, j'ai surtout peur du diagnostic et des corrections des inévitables erreurs).
Mais ce qui a vraiment fait basculer les choses, et transmuté la frustration du « et si…? » en frustration du « et maintenant…? », ce sont l'exemple et les discussions avec un collègue utilisateur d'ErgoDox.
Conclusion
Voilà comment je suis partie d'une situation stable et confortable, en paix avec mes choix de clavier, pour me retrouver dans le maelstrom d'instabilité et d'incertitude que je vis aujourd'hui.
Je ne regrette pas (encore) d'avoir essayé les claviers scindés et Ergo-L, mais je suis bien en peine de tirer une conclusion ou une marche à suivre de ces expériences. Pourtant je suis déjà copieusement saoulée par cette situation (qui devrait être) transitoire.
J'essaye de noter soigneusement ces expériences, pour pouvoir en faire un billet précis et étayé, mais je suis encore incapable de prédire si le prochain billet sur le sujet annoncera que j'aurai tranché, ou si sera un nouveau billet d'étape intermédiaire sur ce chemin beaucoup trop long et tortueux pour mon goût.
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- Publié le 31 août 2025 à 16h39
- État de la bête : le cul entre deux claviers
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