Pour une fois qu'un wearable me plaisait…
Les wearable, ces objets électroniques censés révolutionner notre quotidien d'une façon ou d'une autre en les portant sur soi, me laissent souvent sceptique.
Il y a bien une exception, dont je préparais tranquillement une critique que je vous aurais présentée comme pour les autres jouets qui me plaisent. Malheureusement, l'actualité m'a rattrapée et je vous parlerai à la place de mon point de vue sur cette actualité.
Les outils et leur assimilation
Pour rappel à ceux qui n'étaient pas là ou qui ont oublié, j'ai une relation particulière avec les outils auxquels je suis confrontée. J'ai développé cette relation dans une tangente de Je ne suis pas une geekette, et je vais la résumer ici.
Pour les outils importants pour moi, et/ou que je suis amenée à utiliser souvent, j'ai besoin de ne pas seulement les utiliser, mais les assimiler au point de les considérer comme une extension de mon corps. Je n'utilise pas un marteau pour planter un clou, mais je plante un clou, accessoirement au moyen d'un marteau.
La différence est surtout au niveau de la frontière conceptuelle entre ce qui est moi (extensions comprises) et le monde sur lequel j'agis.
Je n'ai pas si souvent que ça besoin de cette assimilation : je peux tout à fait utiliser un distributeur automatique de billets, au travers d'une relation de nature implicitement contractuelle, comme interagir avec un hôte de caisse.
C'est comme ça que j'en arrive à utiliser naturellement les lignes de commandes ou les logiciels comme vim, parce que le langage que j'utilise pour communiquer avec ces outils est plus proche de ma pensée et ne me demande pas l'effort de les traduire dans le cadre étranger d'un système contractuel.
Malheureusement pour moi, les gadgets électroniques qui prétendent être grand public ont manifestement fait l'objet de gros efforts pour imposer un cadre flashy, façon Minority Report, pour cacher tous les indices sur la nature profonde de l'objet, et rendent presque impossible l'assimilation dont j'aurais besoin pour pouvoir en dépendre.
C'est la raison profonde pour laquelle je n'aime aucun smartphone actuel, je m'en sers a minima, et je regarde avec suspicion les wearables que je vois passer.
Pebble Time Round
Je suis depuis à peu près un an l'heureuse propriétaire d'une « montre connectée » nommée Pebble Time Round, parce qu'il s'agit de la version ronde (et non pas rectangulaire) de la série Pebble Time.
Son premier avantage, qui la place déjà bien au-dessus de pratiquement toutes les autres montres connectées, est qu'il n'y a presque pas de régression par rapport à une montre « stupide » : elle donne l'heure tout le temps, et elle passe dans la mode féminine.
À tel point que ça m'a valu des « Tiens c'est quoi ta smartwatch ? Ah pardon je n'avais pas vu les aiguilles sous l'angle d'avant, j'ai cru que c'était une smartwatch ».
De façon plus générale, j'ai beaucoup aimé chez Pebble l'idée de ne pas vouloir trop en faire, par rapport à leurs concurrents qui ont l'air de vouloir faire un smartphone de poignet.
Ma Pebble, c'est d'abord et avant tout une montre, et accessoirement comme y a de la place pour un accéléromètre et un moteur de vibration et quelques boutons, permet de faire des choses en plus.
Les choses en plus n'ont pas besoin d'être délirantes, seulement d'être pratiques et efficaces. À un moment ils parlaient de glanceability, que je n'arrive pas à traduire efficacement mais qui pourrait désigner en substance à la capacité être utile en y jetant un simple coup d'œil.
Le type de vibration me dit si c'est une notification ou un appel, et dans ce dernier cas un coup d'œil m'indique le numéro et me permet de décider si je rejette l'appel avec un bouton de la montre ou si je sors le natel pour décrocher. Si c'est une notification, je peux choisir d'y prêter attention plus tard, de jeter un œil pour voir la couleur qui indique s'il s'agit d'un SMS, une notification pushover ou autre chose, et lire le peu de texte qui tient à l'écran.
Mes utilisations actives se limitent au contrôle de la musique pour les rares fois où j'en écoute sur mon natel, un chronométrage occasionnel, l'envoi de SMS pré-formulés, ou la sélection d'un item dans une liste qui sera transmis à mon serveur dédié pour traitement. Des choses simples, mais pleinement adaptées à l'étroitesse de l'interface utilisateur.
Évidemment, la hackabilité, c'est-à-dire la possibilité de pouvoir
développer des nouveaux modules pour cette montre dans mon garage ma
chambre, est un point positif indéniable, mais honnêtement je pourrais m'en
passer si le gadget de base remplit mes besoins (qui sont finalement assez
génériques).
On comprend que dans une société basée sur l'économie de l'attention, et trop superficielle pour voir au-delà du flashy, ce genre d'objet soit contre-sélectionné.
Et ce qui devait arriver arriva.
Au revoir Pebble
L'actualité dont je parlais en introduction, c'est la disparition de l'entreprise Pebble, partiellement rachetée par Fitbit.
Partiellement, parce que Fitbit prend des développeurs logiciels et la propriété intellectuelle, et tue tout le reste. En particulier au niveau matériel, la production est arrêtée, les ventes directes annulées, les garanties abandonnées.
Une grande partie des avantages dont j'ai parlés découlent du matériel et des choix philosophiques derrière sa conception.
D'ailleurs au niveau purement logiciel, mon expérience Pebble n'est pas si positive que ça.
La timeline était une bonne idée, mais la comm' s'est un peu emballée parce qu'il m'a semblé clair dès le début que ce n'est pas un paradigme qui s'applique vraiment à tout.
L'orientation fitness me laisse nettement plus perplexe ; j'imagine que c'est une façon d'attirer un plus grand public, mais ils auraient vraiment gagné à mes yeux à tenir leurs ambitions d'ouverture algorithmique. Cela dit dans tous les cas, par rapport à mon utilisation, ça reste un gadget accessoire.
Honnêtement, je n'ai aucune confiance dans Fitbit pour reprendre ce qui me plaisait dans Pebble, et je n'arrive à croire que les gens qu'ils ont recrutés arriveront à avoir une influence significative.
Et maintenant ?
Pour l'instant, tout continue de fonctionner.
Sauf action délibérée de la part de Fitbit, l'application du téléphone devrait continuer de fonctionner, et donc la montre de satisfaire mes attentes.
Mes superpouvoirs de développeuse vont me permettre de tenir plus longtemps que les autres face à l'extinction des serveurs Pebble. J'espère prudemment qu'il y a assez peu de rétro-ingénierie à faire pour remplacer tous les serveurs Pebble par une application sur le téléphone, tant que rien n'est fait pour tuer l'application Pebble, et que quelqu'un le mette à disposition.
Au prochain défaut matériel (avec l'hypothèse raisonnable qu'il soit assez loin dans le futur pour que les stocks d'unités Pebble soit épuisé chez la plupart des revendeurs) je perds tous les aspects de ma vie qui dépendent de cette montre connectée (surtout le réveil discret et les notifications non-intrusives) et tous les efforts que j'ai investis dans le développement d'applications pour la montre.
Dès que quelqu'un décide de supprimer ou d'estropier l'application Pebble sur le téléphone, je perds tout.
J'ai refait un tour de l'offre disponible, et entre les smartphones de poignet et les « coachs électroniques » trop limités pour mes demandes, je ne vois rien qui réponde à mes attentes.
Exactement comme pour Bifrost, mon ordinateur portable (Thinkpad X220) que j'utilise encore presque tous les jours, je ne vois pas remplaçant décent et je vis dans l'inquiétude de la prochaine panne, qui va marquer une régression sensible dans ma vie.
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- Publié le 9 décembre 2016 à 22h33
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