Madeleine d'hiver
Il faudra un jour que je me renseigne sérieusement sur cette histoire de madeleine de Proust, pour éviter de me ridiculiser en balançant cette référence à mauvais escient.
Ceux qui suivent vaguement l'actualité récente en France n'ont sans doute pas raté l'apocalypse parisienne causée par trois pauv' flocons de neige qui n'ont pas fondu immédiatement en arrivant au sol.
Je suis sans doute injustement moqueuse, parce que j'ai l'impression d'avoir grandi avec de la neige tous les hivers. C'est même presque ma définition de l'hiver, la présence de neige qui tient ; parce que le froid seul n'est pas rare dans ma conception de l'automne et du printemps.
J'ai l'impression que dans mon enfance, il y avait presque chaque année au moins trois quatre semaines de manteau neigeux sur la campagne de mon enfance. Ce n'a pas été le cas depuis de nombreuses années ; je ne sais pas si c'est dû au réchauffement climatique ou à l'embellissement des souvenirs lointains. Et je ne suis pas sûre de vouloir le savoir, ces souvenirs me plaisent bien comme ils sont, et pour une fois je préfère les préserver plutôt qu'avoir la vérité.
Donc mardi dernier, j'ai trouvé mon décor urbain habituel de banlieue sous une jolie couche blanche, comme au premier jour de ces trois quatre semaines de mon enfance. Et ça faisait super longtemps que ça ne m'était pas arrivé. Et ça m'a fait plaisir, comme retrouver un plat que j'aime bien (mais sans plus) après très longtemps sans y avoir pensé. Je crois que le coup de la madeleine, ce n'est pas tout à fait ça.
Au moins ça m'a donné un sourire plutôt rare ces jours-ci.
Pour donner une idée quantitative, quand j'ai marché mardi soir il devait y avait peut-être deux centimètres de neige sur les trottoirs intouchés, et cinq centimètres sur le toit des voitures.
De façon complètement indépendante, ce mardi-là j'ai oublié mon lecteur de musique, donc pendant mon retour du boulot je n'avais rien d'autre pour m'occuper l'esprit que regarder autour de moi, en moi, et réfléchir à tout ça. Le lendemain matin, pas de transports en commun, donc aller au boulot à pied, et comme je n'avais jamais fait ce chemin dans ce sens, pas de distraction non plus.
Ça fait beaucoup de temps avec l'esprit en roue libre, ces treize kilomètres de marche sur trottoir glissant. Il n'a pas de raison que je sois la seule à en souffrir, donc voici un condensé de ces observations et ces réflexions.
Les différentes méthodes de déneigement
J'ai l'impression qu'il y aurait des choses intéressantes à en conclure, mais ça m'échappe un peu ces jours ci.
J'ai été frappée par les différences de déneigement des trottoirs suivant les bâtiments qui les bordent. Entre les institutions où il y a manifestement une procédure, qui est exécutée avec plus ou moins d'efficacité ; les commerces qui se donnent du mal parce qu'ils ont conscience que la clientèle va bien le voir ; le déneigement involontaire par la mauvaise isolation ; les mesures ridicules, comme verser du sel sur cinq centimètres de neige fraîche, elle-même sur cinq centimètres de neige piétinée ; etc.
Boîtes à roues en métal
Je reconnais un certain plaisir sadique à voir les voitures lutter en vain contre une quantité de neige qui me semble dérisoire. En particulier une grosse voiture au milieu d'une montée relativement dégagée, qui s'acharnait à faire tourner ses roues arrières sans adhérence comme si tourner plus vite allait arranger quelque chose.
Ce plaisir fut de courte durée, supplanté par la pitié envers le kilomètre de gens coincés derrière cette unique voiture.
Mais finalement est-ce réellement du sadisme ?
Je n'emploie pas les mots « voitures » et « gens » juste pour la figure de style, cette espèce de sadisme est en fait la remise en perspective de l'arrogance et des préoccupations dérisoires de la technique humaine. Comme le colosse d'Ozymandias.
C'est un sentiment très différent de celui que je ressens envers les conducteurs qui revendiquent ouvertement leur égoïsme et leur mépris du code de la route et des autres usagers, et qui subissent un retour de karma. Celui-ci est bien envers l'humain au volant et non envers la voiture.
Et je me souviens d'un carrefour mardi dans lequel ces trois émotions ce sont mélangées, ça fait bizarre.
Le reste de la semaine a été très léger en circulation, et comme souvent c'est quand le bruit s'arrête qu'on se rend compte à quel point c'est mieux sans.
Un pied devant l'autre
C'est gentil les voitures, mais ça ne bouge pas des masses, et rouler est un mouvement tellement simple par rapport à la marche bipède.
Je me suis parfois dit que cette prétendue enfance avec la neige m'a appris à gérer la faible adhérence, juste avant de m'étaler pathétiquement, pour avoir eu l'arrogance de croire déroger à un axiome fondamental de l'univers. Donc je vais plutôt chercher des données objectives et factuelles avant de conclure.
Déjà, sur les treize kilomètres dont je parle (comme sur l'ensemble de l'année en cours) je ne suis pas tombée une seule fois. Même pas de rattrapage, et par là je veux dire que mes déplacements ont été réalisés uniquement grâce à des contacts entre mes semelles et le sol, et à des effets inertiels.
Et sur tous ces kilomètres, seulement quatre glissades, dans le sens d'aucun point de contact avec le sol qui soit immobile par rapport à celui-ci. Je précise, parce qu'il y a eu peut-être des milliers de glissements partiels, la plupart concernant le pied arrière quand presque tout le poids est sur le pied avant, et je n'y vois rien de particulièrement indésirable, car je garde le contrôle complet de mon mouvement.
J'ai ma démarche habituelle, quand le sol a une bonne adhérence ; et j'ai une autre démarche, qui vise clairement à réduire les efforts tangentiels sur le sol. J'ai découvert lors de cet épisode qu'en fait je sors automatiquement une démarche intermédiaire entre ces deux extrêmes, suivant une estimation de l'adhérence courante.
Je n'ai pas du tout conscience de comment est déterminée cette estimation de l'adhérence courante. J'ai l'impression qu'une grande partie est kinesthésique, en cherchant la limite de glissement sur le pied arrière lorsque le poids est sur le pied avant, et supposer que l'adhérence sera à peu près la même au poids suivant. Mais en même temps, il y a clairement des informations visuelles qui sont prises en compte, au moins pour anticiper les changements de surface ou de pente.
Je n'ai pas du tout conscience non plus des mouvements exacts qui sont mis en œuvre, je m'observe les faire, mais c'est un automatisme moteur hors du champ conscient.
Cet automatisme implique les deux jambes en même temps, je ne semble pas avoir de contrôle individuel de la démarche sur chaque jambe. En particulier, lorsque l'adhérence est très différente entre les deux côtés (par exemple parce que l'isolation du bâtiment à côté est assez mauvaise pour fondre complètement la neige sous un pied, mais assez bonne pour que le chemin de l'autre pied soit très glissant), je n'arrive pas à trouver une bonne démarche, et c'est aussi inconfortable qu'essayer de marcher avec les deux pieds à une hauteur différente.
Ziiip
Un autre automatisme intéressant est celui de la glissade.
Il n'y en a pas eu beaucoup, donc je n'ai pas tellement pu observer, mais je suis impressionnée par la complexité et l'adaptabilité de ces mouvements pour arriver à un résultat pas trop mauvais en un temps de traitement si réduit.
J'ai l'impression qu'en substance, il s'agit surtout de ramener le centre de masse à la verticale des appuis, en rigidifiant la posture et en utilisant les bras pour jouer sur la conservation du moment cinétique.
Ce qui m'interpelle, c'est que je soupçonne que ces mouvements pour rattraper le glissement sont incompatibles avec les mouvements pour initier une des roulades tant vantées par les arts martiaux.
J'ai l'intuition que c'est même pire que ça, dans le sens où la décision de partir en rattrapage ou en roulade me donne l'impression de devoir être prise très tôt, et donc sans vraiment pouvoir estimer les chances de réussite d'un rattrapage.
Mon sac à dos est rempli de choses précieuses affectivement, logistiquement et (un peu) économiquement. Du coup, je n'ai pas tellement de risquer d'abîmer tout ça si mon intégrité physique n'est pas en jeu.
Comme ce sont des automatismes, je n'ai pas vraiment le choix de ce qui sort quand la situation se présente, mais j'imagine qu'un entraînement permettrait d'influer ce qui sort dans telle ou telle circonstance.
Cela dit, je ne suis encore jamais partie en roulade par automatisme, ça a toujours été une impulsion consciente. Je me demande même si cet automatisme existe chez moi, ce qui reviendrait à être câblée pour privilégier le sac à dos au détriment des bras ou du coccyx, ce qui n'a pas l'air génial non plus.
Conclusion
C'est bien gentil d'observer tout ça chez moi, mais j'imagine que je ne suis pas exceptionnelle. Je me demande même si en fait, tout ce que je décris là, fait juste partie de la bipédie humaine peu importe la quantité de neige ou de terrains glissants rencontrés dans l'enfance. Qu'en pensez-vous ?
Sentez-vous aussi votre démarche s'adapter comme ça aux caractéristiques du terrain piétiné ?
Avez-vous aussi ce genre d'automatismes ? Ou d'autres qui ne reflèterait pas tout à fait les compromis que vous feriez consciemment ?
Est-ce que je vous fais ch*er avec mes conclusions en forme de questions destinées à susciter l'engagement et à donner une chaleur personnelle à mon texte ? Avez-vous une meilleure idée ?
Commentaires
1. Le mardi 13 février 2018 à 14:42, par Balise :
Je change de démarche sur terrain enneigé et glissant, oui, évidemment, mais c'est un effort très conscient - peut-être dû au manque de pratique.
Ça m'empêche pas de m'étaler au moins une fois, souvent plusieurs fois, par hiver - tout en vivant dans un pays où le déneigement des trottoirs est assez exceptionnel :D
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- Publié le 13 février 2018 à 13h46
- État de la bête : roulée dans la neige
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