Blues professionnel

Ça ne va pas très fort ces derniers temps au boulot, au point d'affecter mon état émotionnel général. Cependant je vais essayer de laisser les vannes fermées dans ce billet (sinon je l'aurais tagué Noir), car je ne cherche pas à m'épancher ici mais à documenter ma situation, que je soupçonne plus commune qu'on pourrait imaginer. Il est néanmoins possible que ce billet soit un petit peu plaintif que les autres.

Ma situation actuelle

Je ne vais pas m'étendre sur le détail de ces problèmes professionnels, parce qu'éthiquement ça me semble malsain de le publier, et parce que ça ne correspond pas à ma ligne éditoriale.

J'en dirais seulement que la trame de fond est un effet « boule de neige » d'accumulation d'erreurs, tristement classique : des personnes incapables de se remettre en question (en général ou sur un point particulier dont il est question), face à une mise en évidence de leurs erreurs (soit par ma propre communication, comme dans l'article lié, soit par les faits, comme c'est le cas ici) déforment cette mise en évidence pour la rendre compatible avec leurs conceptions erronées, ce qui augmente encore la quantité d'erreur.

La nature de ces erreurs, le sujet dont il est question, et les autres soucis plus ou moins graves par dessus cette trame font que ce problème me touche très profondément.

D'un autre côté, l'accumulation progressive fait qu'au début c'était facile à supporter, et qu'il a fallu que ça devienne très grave avant que je le remarque, comme la grenouille proverbiale dans une casserole d'eau sur le feu.

À tel point que je situais le début de ce problème à il y a entre deux ans et deux ans et demi, jusqu'à très récemment lorsque j'ai relu des archives de peu après mon embauche où j'avais déjà remarqué ce qui allait devenir ce problème.

Du coup ça fait depuis un bon bout de temps que je regarde sérieusement ailleurs, mais sans trop me presser parce que je pensais encore pouvoir encaisser.

Comme tellement de monde, j'ai sous-estimé le coût émotionnel de prendre sur moi, et c'est récemment devenu beaucoup plus pressant.

Le futur

Regarder ailleurs sans trop se presser, ou « être à l'écoute du marché » comme certains disent, permet une introspection intéressante sur ce dont on a besoin et sur ce sur quoi on accepte de compromettre.

C'est un peu de cet état d'esprit qu'est sorti le billet sur mes besoins professionnels, où j'explique que je considère mon emploi comme alimentaire, et je n'ai pas particulièrement besoin qu'il me procure un certain épanouissement personnel, ou qu'il pose une certaine complexité ou un certain défi, ou même qu'il ait un sens.

Par contre, j'aimerais éviter mon plus gros problème avec l'informatique professionnelle, le « vite fait, mal fait » si courant dans le développement logiciel, ou qu'on me prenne pour une conne (sans se donner la peine de faire en sorte que je ne le remarque pas).

Donc globalement, je cherchais à faire la même chose mais ailleurs : du développement logiciel (voire de l'architecture logicielle), plutôt bas niveau (C ou Ada), éventuellement critique (ou en tout cas qui évite le « vite fait, mal fait »), en région parisienne, de préférence pas trop loin de chez moi (ou en télétravail), avec un poste de travail sur lequel je suis efficace (donc sur un UNIX, de préférence libre, avec un environnement à base de terminaux et vim).

Et autant au début de la liste ça va, autant au fil de l'accumulation de critères les offres d'emplois conformes s'amenuisent.

Au point que malgré tout ce temps passé à regarder, je n'ai toujours rien trouvé qui soit un net progrès par rapport à mon poste actuel (mais sans corriger la mésestimation du coût émotionnel que j'ai évoquée).

Cela dit, si vous avez vent d'un poste qui satisfait la liste précédente, je diffuse mon CV à qui veut.

Pourquoi ? Pourquoi ! Pourquoi…

À force de voir des listes complètement vidées par des critères qui me semblaient pourtant raisonnables, j'ai inévitablement dû les remettre en question. Ou au moins, chercher à comprendre d'où il vienne est à quel point je peux compromettre dessus.

La géographie, c'est facile : j'ai besoin de mes soutiens émotionnels et sentimentaux, donc je refuse de déménager, et le temps de transport (en fait surtout les conditions du transport) est principalement l'épuisement à gérer mon ochlophobie (le malaise vis-à-vis des foules, souvent appelé agoraphobie).

Et tout le reste, c'est ma tendance presque maladive à vouloir faire de mon mieux, en toutes circonstances. Ou à vouloir éviter le gaspillage, je ne sais pas trop.

Combinée avec ma maîtrise de l'outil informatique, à un niveau presque fusionnel, et une tournure d'esprit visiblement peu commune, je me retrouve avec une inefficacité et un gâchis incroyable (pour beaucoup d'interlocuteurs) quand on me force à utiliser les outils prétendument grand public. Je rechigne à utiliser Windows ou Eclipse ou Word comme je rechigne à planter un gros clou avec un tournevis à cliquet.

Résultat, ces critères découlent de caractéristiques profondes à ce que je suis, donc compromettre dessus ne va pas se faire sans douleur. Ça donne une sérieuse impression d'inadaptation à ce monde, qui n'est probablement pas étrangère à ma déprime professionnelle présente.

Mais quel futur ?

Si je pouvais trouver un emploi compatible avec mes critères de base, je saurais dessus et ce serait un futur tout-à-fait à mon goût.

Mais que faire si un tel futur se révèle impossible ?

On pourrait être volontariste et le forcer à exister, en créant moi-même mon emploi sur mesures. Concrètement, ça voudrait dire partir en freelance, mais j'ai vraiment trop de doutes sur mes capacités commerciales pour imaginer vivre comme ça. Et j'ai aussi de gros doutes sur la taille du marché des logiciels bien faits, ce qui limite fatalement les besoins en développeurs comme moi.

Ou alors il y a la solution d'Eevee, que beaucoup de monde lui envie, mais je n'ai pas du tout l'impression qu'un modèle de style Patreon soit viable dans la culture française ou francophone, et quand bien même il le serait je n'ai pas du tout l'impression d'avoir des choses suffisamment intéressantes à écrire et/ou à produire artistiquement pour pouvoir survivre avec ce modèle, même avec une cible américaine ou anglophone.

Et que faire si on ne peut pas créer un tel futur ?

Compromettre, évidemment.

Pour résoudre une incompatibilité entre ce que je suis et le type d'emploi que je cherche, il suffit de changer l'un ou l'autre.

Mauvais métier, changer métier

Depuis quelques temps j'envisage sérieusement cette solution. J'ai déjà dit moult fois avoir envie de « laisser tomber l'informatique et faire autre chose ».

Je suis régulièrement plus spécifique sur le « autre chose », selon deux caractéristiques majeures :

Je crois que je prends le plus souvent comme exemple l'ébénisterie, parce que (pour autant que je sache) le deuxième point est inclus dans le nom.

Ça pourrait aussi bien être la couture, la serrurerie, la mécanique, l'électricité, la plomberie, ou même n'importe quel autre artisanat que je suis encore capable d'apprendre et dans lequel je pourrais satisfaire le deuxième point. Mais si je ne sais même pas comment contacter des artisans qui font de leur mieux (quitte à y mettre le prix) pour leur donner du boulot, comment en trouver pour me former et les rejoindre ?

Et puisque ces questions semblent souvent se poser, oui je me sens parfaitement capable de passer mes journées professionnelles sans toucher à un ordinateur, oui je suis prête à taper dans mes économies le temps d'apprendre, et oui je suis prête à y laisser un quart de mon salaire actuel à terme (là tout de suite je dirais même la moitié sans problème, mais je ne sais pas si je pourrai encore le dire sans la charge émotionnelle présente).

Honnêtement, je n'ai pas encore osé regarder comment mettre ça en pratique, ou même dans quelle mesure c'est effectivement possible dans ce monde. Parce que derrière la diversité de ces artisanats dans lesquels je suis prête à me lancer se cache un piège : il faut en choisir un seul. Et autant ils me semblent tous aussi faisables a priori, autant je n'arrive pas (encore ?) à me convaincre que je puisse en choisir un sans le regretter amèrement un an plus tard.

« Ne fais pas quelque chose que tu ne peux pas défaire avant d'avoir bien réfléchi à tout ce que tu ne pourras plus faire une fois que tu l'as fait. » conseillait Chade.

Il y en a bien un qui sort du lot, que je serais super motivée pour apprendre et pour exercer, et qui a de très grandes chances de me plaire sur la durée, de ce que je connais de moi : perceur de coffres. C'est d'ailleurs ma réponse depuis plusieurs années lorsqu'on me demande ce que je voudrais faire si je pouvais magiquement faire n'importe quel métier, sans considération de réalisme.

Parce que pour atteindre ce métier, ça a l'air encore plus terrible que les autres.

Mauvaise Nat', changer Nat'

Il suffirait finalement de peu de choses pour assouplir mes critères d'emploi. Juste changer mon échelle de valeurs et ma façon de faire les choses.

« Plus tu vivras dans ce monde, plus tu te rendras compte à quel point tu lui es étranger. » disait Whistler.

Il y a presque deux décennies, j'ai découvert le cyberpunk. Ça collait étrangement avec mon état d'esprit, et ça en a façon les derniers détails.

Depuis j'ai vécu pas mal de choses, et j'ai changé. Aujourd'hui, je n'ai plus tellement l'impression de coller à une bonne partie de l'« esprit cyberpunk ». Même en littérature je penche plus vers le post-cyberpunk que vers l'original.

Si le chemin a été fait dans un sens, il doit bien pouvoir être fait dans l'autre sens.

Je dois bien pouvoir travailler sur moi et m'adapter à ce monde si obstinément incompatible avec moi.

Je dois bien pouvoir renoncer à l'authenticité et à la sincérité, et apprendre à manipuler les gens pour arriver à mes fins.

Je dois bien pouvoir renoncer à la quête de l'amélioration personnelle et accepter d'avoir autant de gaspillage de compétences et de productivité à mon niveau qu'aux autres niveaux de l'organisation sociale.

Je dois bien pouvoir renoncer à l'éthique professionnelle, et faire le minimum de ce que l'on attend de moi pour avoir plus de temps en télémaison.

Je dois bien pouvoir renoncer à la morale et aux bien communs, et exploiter le système à mon avantage.

Je suis sûre qu'avec un peu d'assistance chimique ce sera encore plus facile.

Ouais, j'ai aussi réfléchi à d'autres possibilités autodestructrices, mais est-ce vraiment si mal ? Si c'est le prix du bonheur (ou d'une relative tranquillité matérielle) est-ce si cher ?

Conclusion

Plein de chemins possibles, mais un seul peut être emprunté. Lequel choisir ? Ou laisser les évènements choisir pour moi ?

Que ferait Mme Golovina ?

Et vous, avez-vous aussi eu des critères à la con qui réduisent désespérément votre liste d'emplois acceptables ? Comment les avez-vous gérés ?

Partageriez-vous un brin de votre expérience collective pour éclairer la brebis égarée que je suis ?

Commentaires

1. Le mardi 21 juin 2016 à 13:25, par Rosae :

Je n'ai pas l'impression que changer de métier changera quoique ce soit.
Les entreprises ne sont pas philanthropes, le but est toujours de gagner de l'argent et le moyen est toujours d'en faire le minimum pour contenter le client tout en dégageant de la marge.
Le moment de la formation peut apporter une euphorie passagère mais ça ne changera pas les données.

Pourquoi ne pas mettre une barrière entre l'informatique professionnelle et la privée. La première n'étant qu'un outil pour satisfaire la seconde.

2. Le mercredi 22 juin 2016 à 7:41, par Natacha :

C'est dommage d'attaquer aussi violemment – en disant essentiellement que l'article est faux – pour ensuite présenter des arguments qui ne sont aucunement incompatibles avec le contenu de l'article, voire qui ont été complètement pris en compte ; parce que ça donne l'impression de ne pas s'être donné la peine de lire sérieusement l'article.

Si j'étais un peu plus misanthrope je me demanderais même si cet espace, prévu pour les réactions à ce que j'ai écrit, n'aurait pas été détourné en tribune pour promouvoir des préjugés personnels qui n'ont de rapport avec l'article que quelques mots clefs.

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  • Publié le 17 juin 2016 à 0h28
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