Dépendance électronique
Le point de départ des réflexions menées dans le présent billet, c'est une histoire qui est arrivé pas loin de chez moi : le téléphone portable, prétendument intelligent, qui tombe en panne soudainement sur le trajet vers le lieu de travail ; ledit lieu de travail ayant un réseau d'entreprise très restrictif, et un réseau invité plus ouvert qui permet un accès internet à des ressources personnelles, en utilisant un appareil personnel, donc le smartphone ; et tout ça justement un jour où plusieurs personnes cherchaient à le joindre personnellement.
Quand quelque chose se passe aussi près, je ne peux m'empêcher de me projeter dans la situation, en me demandant comment je m'en sortirais si la même chose m'arrivait, et comment on en est arrivés là.
Point unique de défaillance
Ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c'est évidemment le point unique de défaillance (SPoF, quoi) que constitue le téléphone.
Il y a une diversité des canaux de communication : appel vocal, SMS, WhatsApp, e-mail, IRC, systèmes web, etc. Mais tous ces canaux ont en commun de devoir passer par ledit téléphone dans la situation en question.
Normalement, si un terminal tombe en panne, il reste possible d'utiliser d'autres terminaux pour continuer la communication, ou au moins trouver un correspondant sur un canal pour propager l'information sur la panne, et éviter que tout le monde commence à s'inquiéter.
Sauf que la situation professionnelle rend internet pratiquement inaccessible, et du même coup tous les canaux qui passent par là. Et ce serait encore pire pour quelqu'un qui suivrait les recommandations d'utiliser un gestionnaire de mots de passe, car du coup les accès seraient soit complètement bloqués, soit soumis à la divulgation du mot de passe maître sur un terminal de moindre confiance.
Sans un internet complet, il reste le réseau téléphonique, à condition d'avoir fait l'effort de mémoriser des numéros de téléphone, mais ce n'est pas vraiment tendance. Moi-même, j'ai conscience de ces problèmes, et je fais facilement l'effort de mémorisation, et pourtant je ne connais que le numéro de compagnon, et celui de mes parents me reste de mon enfance.
Il reste l'e-mail, à partir du terminal professionnel. Parmi les gens que je connais, un certain nombre ont des adresses suffisamment évidentes pour pouvoir être retrouvées sans aide électronique, mais en y réfléchissant maintenant je me rends compte qu'il n'y en a pas autant que ce à quoi je m'attendais. Dans mon histoire, je ne sais pas s'il n'avait effectivement aucune adresse e-mail en tête, ou s'il a abandonné trop tôt après les échecs successifs sur tous les autres canaux de communication.
Bref, tout ça pour dire qu'en cas de défaillance de smartphone, envoyer un simple message signifiant « je vais bien, j'ai juste une panne de terminal » avant que les gens s'inquiètent me semble disproportionnellement difficile.
Je vois de plus en plus de personnes avec plusieurs smartphones en leur possession, quelqu'en soient les raisons ou les contextes, et ça me paraît de moins en moins absurde.
Injonction de joignabilité
Les dinosaures comme moi se souviennent sans doute de l'époque où les téléphones étaient fixes, ou sans fil avec une portée assez limitée, et on arrivait bien à vivre. J'ai déjà évoqué le contraste entre cette époque et nos jours dans ma critique d'un livre qui se déroule en 1990.
Parce que le problème dans le fait que tout le monde s'inquiète lorsqu'on est inopinément injoignable pendant une douzaine d'heures, ce n'est peut-être pas l'absence de solution technologique pour empêcher cette injoignabilité.
Je fais partie de la minorité de gens sensibilisés aux problèmes de l'économie de la surveillance, et pourtant à chaque fois que je me pose sérieusement la question, je trouve le coût social de l'injoignabilité beaucoup plus fort que le coût personnel de cette surveillance.
C'est une caractéristique de cette société que je trouve très insatisfaisante, mais je ne sais pas trop quoi y faire.
Peut-être qu'un de ces jours je serai suffisamment radicalisée pour accepter le coût social, mais ça ne règle pas la question à l'échelle de la société. Ce n'est pas parce que je suis déjà extrémiste que je suis contente de voir mes congénères foncer droit dans le mur en klaxonnant (surtout tant que je suis prête à entendre qu'il n'y a pas vraiment de mur, ou qu'il est en papier mâché alors qu'on est à bord d'un Leclerc).
Cela n'empêche pas que je vois plus de problème avec l'autre côté de l'équation : ce n'est pas le coût social qui me semble trop élevé, c'est le coût de la surveillance que je trouve trop faible.
Le téléphone à tout faire
J'ai déjà parlé dans mes billets sur l'EDC des compromis en remplaçant un tas d'outils par un smartphone qui peut tout faire, dans mon EDC version 2015 lorsque j'y réfléchissais et dans sa version 2016 après l'avoir fait.
Encore aujourd'hui, et même encore plus aujourd'hui avec mes activités à risques, j'ai vraiment besoin de pouvoir appeler facilement des secours, de même que j'ai vraiment besoin d'un plan de l'endroit où je suis avec ma localisation dessus ; et dans une légèrement moindre mesure j'ai besoin de pouvoir appeler de l'aide pas si urgente, de pouvoir être moi-même appelable à l'aide, et d'être guidée sur la carte vers ma destination.
Ce sont des besoins finalement assez basiques, qui pourraient tout à fait être remplis en dehors de l'économie de la surveillance. Par exemple, avec une balise Argos, un GPS déconnecté, et un pager.
Je crois qu'on peut imaginer facilement que ces jours-ci, en 2019, il est beaucoup plus facile et moins encombrant de se laisser simplement pister par les opérateurs téléphoniques et les suzerains numériques.
D'ailleurs c'est à tel point que j'utilise un téléphone Android alors que je supporte à peine son interface, et je suis depuis longtemps prête à me jeter sur la première la première alternative qui passe à ma portée. Je regarde avec intérêt KaiOS, mais il n'est pas encore en état de rivaliser.
Donc même fâchée avec l'interface, même remplie de crainte de tout perdre lorsqu'il me fait défaut, je garde mon Kyocera Torque…
Le téléphone irremplaçable
Me voilà donc rappelée à la fragilité d'un téléphone, même « durci », donc comme à chaque fois, je cherche si je peux mettre de côté un téléphone de rechange.
En plus de ça, mon Kyocera Torque actuel est du plus en plus clairement en fin de vie. Il a plus de quatre ans, ce qui commence à être un âge respectable pour ce genre d'appareils, mais ce n'est pas ça qui va me gêner. Le capteur de proximité est mort depuis très longtemps (ce qui est chiant mais sans plus), les accéléromètres sont morts un peu plus récemment (fini l'orientation automatique des appli'), le capteur de luminosité se croit dans une obscurité perpétuelle, et il redémarre spontanément de plus en plus souvent.
En plus de ça, il m'a fait le coup de Lazare il y a un an et demi, donc la problématique de son remplacement n'est pas nouvelle. Mais hélas, comme je l'écrivais à l'époque, c'est très compliqué.
Globalement, je n'ai pas l'impression que les GPS autonomes aient beaucoup progressé en termes d'encombrement physique depuis mon Garmin eTrex 20, et honnêtement j'ai même l'impression qu'en dehors de Garmin qui fait vivoter sa gamme il ne reste plus rien.
Et pour ce qui est des appels à l'aide plus ou moins urgents, j'ai l'impression que le vide est encore plus abyssal. Je trouve ça un peu facile de succomber à l'injonction de joignabilité sous prétexte d'appels à l'aide, mais il se trouve que ma réticence aux conversations téléphoniques vocales et ma réticence à l'interface d'Android font que je ne me sers pratiquement pas dans les autres cas, et j'ai l'impression que mes correspondants l'ont compris aussi.
Bref, j'ai besoin d'un téléphone, et d'un système de cartographie, géolocalisation, et navigation, éventuellement dans l'appareil, de la façon la moins pénible possible à transporter.
En l'état, c'est assuré par un appareil qui mesure à peine plus de 13 cm de long, et moins 7 cm par 1.5 cm en largeur et en hauteur, tout en étant blindé antichocs et étanche.
Avec la disparition de ce modèle des catalogues, je ne trouve même plus de quoi maintenir le statu quo. Chez Crosscall, tout comme chez Caterpillar, et même chez les concurrents chinois, il y a bien deux centimètres de plus en longueur et en largeur.
Même en laissant tomber la résistance, les Android considérés comme minuscules chez jours-ci, par exemple Xperia XZ2, ont déjà la même taille que mon téléphone blindé, sans compter une coque pour lui permettre de survivre un minimum avec moi.
Et même retourner au téléphone idiot avec un GPS dédié n'est pas vraiment une solution, d'une part parce que les GPS de chez Garmin, comme mon eTrex, ont deux centimètres de plus en épaisseur que mon téléphone actuel, mais même les téléphones « feature » ont enflé, par exemple le Cat 35 avec deux centimètres de long et un centimètre de large de plus que le Samsung B2100 que j'avais en 2015 et que je regarde encore de temps en temps avec nostalgie.
Tout faire, c'est si peu
La meilleure illustration de mon problème avec Android, c'est la liste de tout ce que j'en fais au quotidien.
Une fois que le téléphone est accepté pour les raisons importantes ci-dessus, ça ne coûte plus grand-chose d'ajouter d'autres utilisations moins importantes. Il me semble n'en avoir encore jamais dressé la liste, même pendant ma dernière crise téléphonique.
En termes de communication, il n'est pas évident de départager les demandes d'aides importantes de la socialisation de base, mais j'utilise un peu les communications vocales, surtout les SMS, et un peu WhatsApp.
Pour les communications non-humaines, j'utilise pushover, qui contribue par exemple à une rapide remise en route quand le présent site est inaccessible. Certaines notifications IRC et e-mail sont envoyées par là aussi, pour faire vibrer ma montre.
Je n'utilise pas si souvent que ça la cartographie, mais à chaque fois que je m'en sers c'est le résultat d'un besoin très fort. Je le fais avec OsmAnd et quelques gigaoctets de cartes préalablement téléchargées.
Je regarde assez souvent les horaires de bus avec l'application RATP, pour suivre leur évolution dans les dizaines de minutes avant le départ pour me faire une idée de l'état du trafic.
L'appareil photo est mauvais, mais il est utile comme aide-mémoire pour des arrangements d'objets, et certains schémas et textes.
J'utilise parfois JuiceSSH pour les interventions informatiques qui ne peuvent pas attendre l'accès à un terminal plus confortable.
Enfin il m'arrive de gaspiller du temps sur Elevate ou Lumosity, quand je n'ai rien de mieux à faire. En général, c'est lorsque je n'ai pas mon livre électronique ou que je pressens que je serais trop lente pour sortir de l'histoire et revenir à la réalité.
Conclusion
Ce qui aurait dû être une réflexion calme et posée sur l'état de l'électronique dans le milieu dans lequel je vis s'est encore transformé en rant laborieux parce que je déteste l'orientation de la technologie grand-public moderne.
Peut-être que mon apprentissage de la moto n'a pas arrangé les choses, en me faisant découvrir une machine dont l'interface est parfaitement à mon goût, et en décrédibilisant du coup l'idée selon laquelle c'est juste moi qui suis récalcitrante au changement ou qui n'aime rien, et non pas les interfaces actuelles qui sont hautement, comme on dirait de nos jours, 💩.
Cela dit, je ne publie pas tout ça juste pour le plaisir de ranter (d'ailleurs je n'y trouve honnêtement aucun plaisir), ni seulement pour l'auto-documentation. Maintenant que j'ai clarifié et rédigé mon point de vue et mon ressenti, j'aimerais beaucoup comparer avec vous, chers lecteurs. Et surtout, j'aimerais beaucoup avoir tort, donc si vous voyez le moindre truc douteux ci-dessus, ou la moindre solution technique qui aurait une petite chance de remplir une partie de mes besoins, n'hésitez pas à m'en faire part.
Par exemple, si je ne l'avais pas découvert en préparant cet article, j'aurais aimé qu'on me parle de GerdaOS, qui ouvre KaiOS et permet d'espérer développer dessus plus facilement qu'avec le SDK officiel. J'ai un peu peur de fonder trop d'espoir sur cette plateforme, en particulier au niveau de la puissance de calcul nécessaire pour gérer des cartes vectorielles nationales et pour faire du routage, mais ça (me) donne envie d'acheter du matériel pour essayer.
Voire de me dire que finalement, utiliser Google Maps sur KaiOS n'est peut-être pas plus se vendre au capitalisme de surveillance qu'utiliser Android avec OsmAnd, et investir dans un abonnement avec une quantité utilisable de données.
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- Publié le 30 septembre 2019 à 20h35
- État de la bête : cherche une cure de désintoxication
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