Je ne suis pas écologiste, mais…

Le titre pourrait donner l'impression qu'il s'agit d'un article de Natologie parce que c'est comme ça qu'il a débuté, mais l'air du temps me fait douter de la pérennité des affirmations qu'il contient, donc je le publie dans ma section weblog dont le contenu périme naturellement.

Pour les éventuels visiteurs du futur qui tomberaient sur ce texte, l'air du temps c'est la France qui sort d'un été marqué par une sécheresse et des canicules inhabituelles, et des feux de forêt inhabituellement présents dans l'espace médiatique ; et avant un hiver qui inquiète largement (au moins autour de moi) en raison d'une inflation inhabituelle combinée à des annonces de difficultés d'approvisionnement énergétique.

Il y a donc une certaine effervescence autour des concepts écologiques et économiques, et j'ai un peu peur que ce billet se fasse remarquer par des marchands de haine au point de me faire regretter sa publication, mais si vous lisez ces lignes c'est que je n'ai pas succombé à la tentation de l'autocensure (je me contenterai peut-être seulement d'« oublier » de l'annoncer sur Twitter).

Ce billet s'inscrit dans des réflexions plus générales sur les étiquettes que les humains revendiquent et se collent entre eux, et mes difficultés avec ces étiquettes ; mais ces réflexions ne sont pas encore bien sèches, donc ça restera en filigrane dans ce billet.

Le résumé exécutif de ce billet est que je rejette l'étiquette « écologiste » parce que – jusqu'à présent – les attributs que j'ai trouvés corrélés avec cette étiquette me semble inutiles ou contre-productifs, que ce soit pour la cause environnementale ou pour d'autres valeurs que je chéris. Je m'en vais donc énumérer ces attributs et les démonter expliquer en quoi ils ne me reviennent pas.

Le monde d'après

Lorsque les gens parlent de « prise de conscience collective » de la population française, ou prédire que maintenant, cette fois, plus rien ne sera plus comme avant, je retrouve un sentiment familier, que j'ai déjà documenté sur ce présent weblog dans le billet Après la crise.

Ce billet date du printemps 2020, au début de la Grande Pandémie, et je trouve un peu triste de pouvoir reprendre presque exactement tout son contenu aujourd'hui, en remplaçant juste la crise sanitaire par une crise énergético-économique.

Et c'est d'autant plus triste que mes prédictions de l'époque sont déjà largement réalisées. Le « monde d'après » ressemble beaucoup au « monde d'avant », les services publics sont toujours en ruine, le personnel « essentiel » est toujours exploité sans gratitude, il n'y a pas eu de politisation généralisée, les élites ont eu suffisamment de pouvoir pour empêcher les catastrophes dans le système, et la voiture s'est arrêtée au feu rouge pour nous laisser passer.

Il reste quelques cicatrices de cette crise, comme le fait de ne plus être vu comme un monstre quand on porte un masque chirurgical en public (j'avais essayé 2018, tout le monde m'a rapidement fait passer l'envie de réduire le potentiel de contamination).

La plupart des cicatrices me semblent cependant être plutôt des lignes de fragilité qui ont cédé. Je l'avais romancé dans Becoming, et dans Après la crise j'ai utilisé la métaphore géophysique du tremblement de terre qui résulte plus de l'accumulation de tensions tectoniques que du déclencheur lui-même. Par exemple, dans mon domaine professionnel, il y avait depuis très longtemps une demande de télétravail piétinée par l'encadrement, et si cette résistance n'avait pas été sapée par la crise sanitaire, ça aurait été par autre chose, au pire le renouvellement générationnel.

Et donc aujourd'hui encore, devant une nouvelle crise annoncée, je parie plus sur une victoire de l'immobilisme, tant qu'il n'y a pas de catastrophe pour l'arrêter. Et je continue de trouver tristement improbable les autres alternatives, si désirables soient-elles.

La prise de conscience

Il y a en plus quelque chose qui me gêne particulièrement dans tous les discours qui parlent d'une « prise de conscience après cet été ». Et la façon la plus courte de le décrire est qu'ils ne donnent l'impression de dire que les gens sont cons sans oser le dire comme ça, et j'ai déjà longuement écrit sur le fait que les gens ne sont pas cons.

Vu d'ici, la principale raison pour laquelle je ne crois pas du tout à une « prise de conscience après cet été », c'est qu'il n'y a pratiquement pas de conscience à prendre : ceux qui savent qu'on court au-devant de gros problèmes environnementaux n'avaient pas besoin de cet été pour le savoir, leur conscience était déjà prise avant, et pour ceux qui se voilent la face les évènements de cet été sont trop dérisoires pour entamer cette armure mentale (sauf peut-être pour la toute petite minorité personnellement touchée).

J'imagine bien qu'un certain nombre de gens aimeraient bien que des évènements spectaculaires servent à convertir des incroyants à leurs dogmes, mais je n'ai vu ce genre de choses marcher que dans des histoires, mais jamais dans la réalité, et surtout pas à grande échelle et dans une surabondance de prédicateurs en concurrence.

Je ne suis pas une athée virulente, et je suis prête à concéder des bienfaits à la spiritualité pour certaines personnes et la nécessité d'acquérir une morale d'une façon ou d'une autre ; mais je suis extrêmement réservée envers les religions organisées, et encore plus lorsqu'elles se mêlent du pouvoir séculier.

J'ai déjà parlé de mon rejet du fond des tripes de l'écologie religieuse, et ça ne s'est pas arrangé depuis.

Les marchands de conscience

Je ressens beaucoup de mépris envers les marchands de haine, car ils sont à mes yeux purement néfastes. Pour moi une société idéale est sans haine, et moins de haine c'est toujours mieux.

Je n'ai pas de tel a priori sur les marchands de bonne conscience, car la mauvaise conscience me semble plus souvent néfaste qu'utile. Je ne la mettrais peut-être pas dans les émotions contre-productives à éradiquer au plus tôt (comme la honte indirecte ou la haine), mais plutôt dans les émotions qui peuvent être utiles mais pour lesquelles il existe des alternatives aussi utiles et hédonistiquement moins chères.

Donc sur le principe, je n'ai pas de problème avec les gens qui payent pour avoir bonne conscience ni avec les marchands qui profitent de ce créneau. Ça fait partie des bienfaits que je concède à la spiritualité.

En revanche, sur le thème de l'écologie, je trouve le marché de la bonne conscience particulièrement méprisable, d'une part parce qu'il gaspille des ressources (surtout la bonne volonté des gens) qui auraient pu être allouées à des choses plus utiles, et d'autre part par les dynamiques de groupe immondes (dont certaines m'affectent personnellement) qui en découlent.

On dirait qu'il y a moyen de balancer des accusations de juste vouloir se donner bonne conscience à n'importe qui : ceux qui ne font pas les trucs inutiles, ceux qui ne font pas les trucs trop difficiles ou impossibles pour eux, ceux qui font des trucs qui ont l'air trop faciles, ceux qui font des trucs trop visibles, ceux qui font des trucs pas assez visibles, etc.

L'écologie performative et le biais d'action

Une tendance que je vois depuis assez longtemps, mais qui me donne l'impression de se renforcer ces dernières années, est de faire de l'écologie une vertu à étaler et d'exclure du groupe tous ceux qui ne font pas les gestes individuels prescrits.

Évidemment, si ces gestes individuels étaient pertinents, je pourrais me faire une raison ne me disant que la fin peut justifier les moyens. Ce n'est malheureusement pas le cas, les gestes individuels les plus visibles sont généralement les plus négligeables, l'exemple le plus flagrant étant toutes les discussions autour de l'éclairage.

Je ne sais pas mesurer dans quelle proportion, mais ces gestes visibles mais négligeables sont en fait néfastes lorsqu'ils remplacent des gestes plus utiles.

Je suis peut-être un peu méchante en traitant la plupart des gestes individuels négligeables comme de la vertu ostentatoire pour signaler son appartenance au groupe des « gentils », il y a peut-être dans le cas des fausses bonnes idées qui rencontrent un engouement sincère, ou même juste le biais d'action.

Il y a par exemple tous les « si tous le monde faisait » telle ou telle chose. Si un plan action a besoin d'une prémisse impossible pour avoir un impact positif, ça ne va rien aider dans notre monde. Personnellement je préfère les « si on pouvait violer le second principe de la thermodynamique » plutôt que « si tout le monde le faisait », mais le résultat est le même.

La complexité du monde

Et c'est souvent une bonne chose que tout le monde ne fasse pas ce genre de choses, parce que les effets indirects ont de bonnes chances de ruiner tous les bénéfices que ces actions pourraient avoir. J'imagine la catastrophe écologique si tout le monde se mettait d'un coup au vegan, entre les animaux dépendant de l'homme lâchés dans la nature faute de fonds pour s'occuper d'eux, les camions frigo abandonnés pour la même raison et la fuite de liquide réfrigérant qui s'ensuivrait, etc, sans oublier toutes les conséquences indirectes des réactions irrationnelles, et probablement violentes, de tous ces gens dont les conditions de survie dans ce système capitaliste disparaissent soudainement.

Une autre illustration que j'aime beaucoup, dans un article sur un tout autre sujet, est l'argument du dentifrice : le tube de dentifrice que l'on a devant soi dans le supermarché, qu'on peut choisir ou non de saisir pour l'acheter, est en fait déjà payé. Aussi bien sur le plan financier que sur le plan écologique : l'argent pour le produire a déjà été dépensé, et son impact écologique (que ce soit en bilan carbone, en pollution chimique, ou autre) est déjà concrétisé. Quel que soit mon geste individuel dans le supermarché.

Le monde moderne est trop complexe et trop chaotique pour pouvoir facilement évaluer les résultats d'un geste individuel. Réduire ma consommation de dentifrice va peut-être seulement augmenter le nombre de tubes invendus gaspillés, sans aucun effet industriel ou écologique sur la production, et peut-être un léger effet négatif dans la gestion des déchets. Des milliers de personnes qui réduisent leur consommation de dentifrice vont peut-être aussi arriver au même. Des millions de personnes qui réduisent leur consommation de dentifrice vont peut-être avoir un impact sur la production, mais cet impact peut aussi bien être la reconfiguration de l'usine vers un produit plus profitable avec un impact écologique plus mauvais.

Là aussi ça vient d'un tout autre contexte, mais je repense encore à cette remarque d'Anders Tegnell (quoi qu'on pense du personnage), dont une traduction personnelle serait : « je suis profondément méfiant envers les solutions simples aux problèmes complexes. »

Les idéologies nauséabondes

Les dynamiques de groupe toxiques qui propagent les idées écologistes propagent parfois des idées encore plus détestables.

Et je ne pense pas particulièrement au fascisme, déjà parce que je ne maîtrise pas très bien ce que ce terme regroupe, et parce qu'il me semble être plus propulsé par les tendances réactionnaires, qui me semblent plutôt anti-écologistes.

Je pense surtout au néo-luddisme et au malthusiannisme, et je ne comprends pas comment ces idéologies ne sont pas rangées dans les mêmes poubelles de l'Histoire que le fascisme (même si ce n'est pas aussi efficace que j'aurais aimé).

Je ne sais pas trop comment l'expliquer tant ça me paraît évident, mais même si on pouvait faire une « décroissance heureuse », ça ne se fera pas en tournant le dos à la technologie, parce qu'il y a besoin de science et de technologie pour réparer, ou au moins gérer, les dégâts qui ont été faits par la technologie.

Quant à la gestion des tailles des populations, le fait que ça a été horrible à chaque fois qu'on a essayé devrait être suffisant, mais on peut y ajouter les projections sérieuses selon lesquelles on a déjà le niveau technique pour gérer le maximum démographique de ce siècle, ou le fait que plus d'humains c'est plus de bonnes idées pour inventer des solutions.

Alors c'est vrai que si on tourne le dos à la technologie, on ne va pas pouvoir nourrir toute l'humanité actuelle, mais c'est une blessure auto-infligée.

Alors on fait quoi ?

Dans les mauvais jours, j'ai envie de répondre « rien ». L'angoisse climatique est une réalité pour moi, je ne plaisante qu'à moitié quand je dis qu'on vit la fin des Soixante-Dix Glorieuses, j'ai le sentiment d'arriver au bout de mon pain blanc et je m'apprête à être nostalgique pour le restant de mes jours.

Le reste du temps, mon émerveillement technologique est intact, je reste plus impressionnée par les infrastructures modernes que par les Merveilles du Monde, et j'ai l'impression que le génie de l'humanité est capable de mettre en œuvre des solutions inespérées s'il n'est pas étouffé par la cupidité, la haine, et le désir de domination de ces congénères.

Mais ces solutions ne seront pas des gestes individuels, ce seront forcément des gestes collectifs, et je désespère un peu de voir la faiblesse des collectifs ces jours-ci. Ce seront forcément des changements profonds, au moins aussi profonds que mettre l'accès à une vaste quantité d'information dans la majorité des poches.

Nous avons bâti un merveilleux réseau ferroviaire, et démantelé une grande partie depuis. Nous avons déployé un réseau électrique, un réseau d'eau potable, un tout-à-l'égout et son épuration, un réseau routier, etc. Nous avons multiplié et diffusé les connaissances par l'écriture, l'imprimerie, le lettrisme, et les télécommunications. Nous avons conçu et distribué des incroyables capacités de calcul. Nous avons déplombé les canalisations et les carburants. Nous avons éliminé les CFC. Nous pourrions éradiquer la famine et la misère si nous le choisissions.

Je trouve chacun de ces exploits plus merveilleux que la Grande Pyramide, et l'ensemble m'impressionne beaucoup plus que toutes les solutions à la crise climatique. Et si vous ne vous retrouvez pas dans ces « nous », il y a probablement des questions à se poser.

Si l'élan écologiste que je constate ces temps-ci ne fait pas long feu, et s'il n'est pas complètement détourné dans du profit à court terme et dans des idéologies néfastes, il peut encore coalescer dans une œuvre collective salvatrice. C'est d'ailleurs pour ça que je publie le présent billet à moitié cuit, au lieu d'attendre pour sortir un « je le savais bien » bien ficelé.

Oui mais concrètement, nous, là, on fait quoi ?

Je ne sais pas du tout quelles seront ces solutions. Je ne sais pas répondre à la question « on fait quoi ? », parce qu'aussi loin que je me souvienne toutes mes propositions, à tous les niveaux d'enjeu, sont tombées à plat et n'ont fait bouger personne d'autre que moi, au point que l'accumulation de ces échecs cuisants m'a conditionnée à ne plus rien proposer.

Je vais me faire violence, pour terminer ce texte sur une note positive. Voici mes propositions de gestes individuels :

Ou s'il ne fallait en garder qu'un, je reprendrais les mots de Quellcrist Falconer dans le livre Carbone Modifié :

Regardez la réalité en face. Puis agissez en conséquence. C'est le seul mantra que je connaisse, la seule doctrine que je puisse vous offrir, et c'est beaucoup plus difficile que vous le pensez. Parce que je vous jure, on dirait que les humains sont câblés pour faire n'importe quoi sauf regarder la réalité en face. Ne priez pas. N'espérez pas. Ne croyez pas aux dogmes centenaires, aux rhétoriques mortes. N'abdiquez pas en faveur de votre conditionnement, vos visions ou votre connerie de sens de… ce que vous voulez. REGARDEZ LA RÉALITÉ EN FACE. PUIS agissez.

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